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importante, tout l’Indostan méridional allait tomber entre les mains des Français ; Madras et le fort Saint-George ne pouvaient plus tenir ; enfin les Anglais étaient chassés de l’Inde, lorsque le jeune Clive alla mettre le siège devant Arcotte, capitale des états de Chundasaëb, pendant que ce nabab était occupé du blocus de Trichanopaly. A cette nouvelle, Chundasaëb court défendre sa ville ; Méhémet est débloqué ; Arcotte reste à Clive. Chundasaëb, tombé entre les mains d’un parti ennemi, est livré au supplice à l’instigation des Anglais, et Clive, partout victorieux, renverse la colonne élevée à la gloire de Dupleix. Le nom français avait essuyé un assez rude échec dans l’Inde ; cependant il n’y avait là rien de définitif, ni même de très sérieux. Notre position était encore intacte, et pas un pouce de terrain ne nous avait été enlevé. Si le cabinet de Versailles avait prêté à Dupleix l’appui que Clive trouva dans le gouvernement britannique, rien n’était perdu, tout pouvait se maintenir et se consolider ; mais cette fermeté si désirable et si rare n’appartenait pas à notre société énervée du XVIIIe siècle : alors l’engouement qui applaudissait au succès était sans mesure comme le découragement qui, au moindre échec, s’emparait de ces cœurs faibles et indécis.

La compagnie des Indes ne soutenait plus Dupleix. A l’époque où nous voilà parvenus, elle était entièrement livrée aux ennemis du gouverneur. Acharnée contre La Bourdonnais, la compagnie avait d’abord adopté son rival. La fidélité de Dupleix à ses instructions, la discrétion avec laquelle il avait gardé le silence sur les étranges contre-ordres dont nous avons rendu compte, lui avaient mérité les bonnes graces des directeurs et du ministère. La levée du siège de Pondichéry avait mis le comble à ces dispositions bienveillantes. Tous les bâtimens partis de France apportaient à Dupleix les lettres les plus flatteuses accompagnées de brillantes décorations et de titres nobiliaires. L’opinion publique, surtout celle des salons, si puissante alors, s’unissait à ce concert d’éloges. Dans la nombreuse correspondance qui est entre nos mains, nous trouvons non-seulement les félicitations des ministres, mais celles des princes et des courtisans, presque tous actionnaires dans la compagnie. C’est M. le prince de Conti, M. le comte de Clermont, M. le duc de Penthièvre ; ce sont les maréchaux de Richelieu, de Bellisle, de Noailles, le duc de Béthune, le prince de Monaco, le marquis de Montmorency-Laval ; jusqu’à des femmes de la cour qui mêlent à des complimens politiques des commandes de mousselines et de lampas. Tous semblaient enchantés de voir le représentant de la France dans l’Inde revêtu d’une haute décoration militaire