Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nomma Dupleix son oncle par un brevet semblable au traité où Mursapha l’avait nommé son frère. Il confirma toutes les donations précédentes, et, afin de rendre plus sûre pour la France la possession de la ville industrieuse de Masulipatam, il y ajouta quatre provinces : Mustapha-Nagar, Ellora, Rajamundry et Chicacole. Dupleix et sa femme reçurent des dons particuliers évalués à plus de 2 millions de francs ; enfin, ce qui est plus essentiel, ce fut alors que les anciennes possessions et les nouvelles acquisitions de la compagnie française furent solennellement confirmées et légitimées par un firman du Grand-Mogol. Bussy, demeuré dans le Dekhan, y devint de fait le grand-visir de Salabut, et, grace à l’appui de la France, grace à la valeur et aux talens militaires de Bussy, le vice-roi, vainqueur des Patanes et des Marattes, devint, sous la protection de la France, maître du Dekhan tout entier, et entra sans obstacle dans la ville forte d’Hyderabad, située non loin de l’antique Golconde.

Dupleix avait alors non-seulement fait légitimer par le firman du Grand-Mogol les établissemens de la France sur la côte de Coromandel, mais il la faisait régner sur trente millions d’hommes, depuis le fleuve Krishna jusqu’au cap Comorin. L’Angleterre était partout humiliée, et l’Inde ne connaissait plus d’autre nation que la nôtre ; les historiens anglais, Orme et Macaulay, en font un aveu très honorable sans doute, mais devenu facile par nos défaites. Un homme vint, moins grand que Dupleix, puisqu’il s’était instruit à son école, mais assez hardi pour essayer de le tenir en échec et assez heureux pour y réussir. On se souvient qu’après la capitulation de Madras quelques commis des bureaux de la compagnie anglaise s’étaient échappés de cette ville, et qu’un petit écrivain, un scribe nommé Clive, était du nombre des fuyards. Le sort l’avait réservé au suicide. Désespérant de faire fortune dans l’Inde, il avait voulu se tuer ; la balle s’était égarée, et Clive s’était résigné à ce mécompte ; il y voyait un arrêt de la destinée. La sienne était écrite d’avance ; mais, dans l’intervalle des deux coups de pistolet, partis l’un au commencement, l’autre à la fin de la carrière de Clive, cette destinée capricieuse avait mis la conquête d’un empire[1].

Tandis que tout réussissait à Dupleix dans le Dekhan, il était moins heureux dans le Karnatik. Chundasaëb bloquait le fort de Trichanopaly, où son rival, le nabab Méhémet-Aly, le protégé des Anglais, ne lui opposait plus qu’une faible défense. Par la reddition de cette place

  1. Lord Clive, chargé de richesses et d’honneurs, se tua le 22 novembre 1774.