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car la paix d’Aix-la-Chapelle, signée le 18 octobre 1748, ne fut, à proprement parler, qu’une trêve.


III

Le vaste continent de l’Inde présentait alors le spectacle qu’avait donné l’Europe dans le moyen-âge, lorsqu’après la mort de Charlemagne des souverainetés nombreuses s’étaient rangées autour des césars germaniques, vassales de nom, indépendantes de fait. Immobile à Delhy, le Grand-Mogol voyait les plus puissans omrahs accourir de tous les points de l’Indostan pour lui arracher à prix d’or le firman qui légitimait leur pouvoir ; mais sitôt qu’ils avaient obtenu cette investiture, indispensable dans l’opinion du peuple, ils retournaient dans leurs provinces, où ils régnaient sans contrôle : l’empereur n’était plus à leurs yeux qu’un chef nominal et symbolique. C’est en vrais souverains que sous le nom de soubadars ou vice-rois ils exerçaient, à leur tour, une suzeraineté immédiate sur les nababs ou gouverneurs, qui, dans les limites de leur autorité, se rendaient presque aussi indépendans des soubadars qu’eux-mêmes l’étaient du Grand-Mogol. Une faiblesse générale, quoique résultant des institutions même de cet empire, ne l’avait cependant envahi que par une marche lente et progressive. L’Inde, gouvernée par des hommes habiles et forts, politiques et courageux, avait opposé deux cents ans le palliatif des caractères à l’infirmité des lois.

Pendant la durée du XVIe et du XVIIe siècle, rien n’avait arrêté les triomphes de la race mogole, de la race conquérante issue de Tamerlan. Elle avait brillé de l’éclat le plus vif et le plus varié. A la gloire des entreprises guerrières, elle avait joint le prestige de la poésie et des arts. Beber, Humayon, Akbar, remplirent l’Asie du bruit de leur nom. Ils réunissaient tous les contrastes ; ils étaient en même temps loyaux et perfides, cruels et magnanimes, barbares et civilisés, remplis à la fois d’activité et de mollesse. Tantôt ils couraient d’un bout à l’autre de la presqu’île, subjuguant les rajahs indigènes, détruisant sur leur passage tout, hors les mœurs indestructibles de l’Inde et sa religion plus opiniâtre encore ; tantôt ils passaient des heures, des jours, des années, à l’ombre des palmiers, au bruit des fontaines, au milieu des femmes et des poètes qu’ils égalaient, non du droit de tout souverain métromane, mais de toute la supériorité d’un génie réel et sincère. L’un d’eux avait fait graver ces mots sur une colonne