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l’exécution, ils portèrent une vue différente dans un dessein commun. La Bourdonnais, homme de guerre, n’y vit qu’un siège à faire et une rançon à prendre. Pour Dupleix, homme politique, Madras était une conquête durable et un accroissement de territoire. Ils en écrivirent au gouvernement chacun dans son sens, et le gouvernement crut faire un prodige d’habileté en leur donnant, à l’insu l’un de l’autre, des instructions opposées et contradictoires.

Par une ordonnance royale contresignée Orry, tous les officiers de, la compagnie tant à terre que sur mer étaient tenus d’exécuter ponctuellement les ordres de La Bourdonnais ; bien entendu qu’au cas que l’action se passât dans quelque autre gouvernement que celui des îles (de Bourbon et de France), les conseils l’auraient préalablement autorisé à donner des ordres à terre, car, à l’égard des forces de mer, il devait, dans tous les cas, les commander. Par une autre ordonnance royale contresignée Phélypeaux (nom de famille du ministre de la marine, le comte de Maurepas), il était ordonné à tous capitaines et officiers de la compagnie des Indes et autres de reconnaître le sieur de La Bourdonnais en qualité de commandant, et de lui obéir en tout ce qui appartenait au service du roi et à celui de la compagnie, sous peine de désobéissance. Dans une lettre particulière du contrôleur-général Orry, on lisait en propres termes : Au surplus, quoique ce plan (celui de l’expédition sur Madras) m’ait paru bon, la confiance que vous ferez tout pour le mieux m’engage à vous autoriser à y changer ce que vous trouverez de plus convenable au bien général et aux intérêts de la compagnie, et même à prendre tout autre parti, quel qu’il soit. Outre cela, des instructions verbales enjoignaient au chef d’escadre de ne rien entreprendre sur la compagnie anglaise sans une espèce de certitude de succès, parce que le principal objet de la compagnie était de se défendre et non d’attaquer les comptoirs ennemis. Enfin, par une lettre secrète du ministre qui ne devait être ouverte qu’en mer, il était expressément défendu à La Bourdonnais, de s’emparer d’aucun comptoir des ennemis pour le conserver[1].

Des instructions bien différentes étaient envoyées dans le même temps à Dupleix. Dans le cas de la prise de Madras, il lui était formellement enjoint d’établir son autorité dans cette ville en qualité de gouverneur des Indes, et de la remettre à un des princes du pays, Anaverdykan, nabab de Karnatik. La compagnie avec raison aimait mieux voir Madras entre les mains des Mogols qu’entre celles des Anglais. Ici

  1. Mémoires de La Bourdonnais, pages 57 et 58.