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portée par un courrier de cabinet. Édouard, vaincu, fuyait. George II, vainqueur et altéré de vengeance, avait tenté en vain un débarquement sur Lorient, puis sur Quiberon. Repoussés de la côte de Bretagne, les Anglais s’étaient jetés sur la Martinique ; repoussés encore, ils attaquaient nos Antilles sur un autre point, et cependant la compagnie demeurait tranquille sur le sort de l’Inde. Qui le croirait ? elle faisait revenir en France une escadre de six vaisseaux que La Bourdonnais avait formée à grand’ peine, et qui attendait dans les eaux de Port-Louis le signal de l’attaque contre les Anglais. En même temps elle donnait à Dupleix l’ordre de suspendre les armemens et les fortifications à Pondichéry, dont il venait d’être nommé gouverneur.

Une pareille conduite semble inexplicable ; on la dirait inspirée par la folie ; elle ne l’était que par la pusillanimité, si dangereuse sous le masque de la prudence. Le gouvernement de Louis XV ménageait la Grande-Bretagne ; il ne voulait pas l’irriter en prenant l’initiative d’une lutte dans les Indes ; il croyait l’attendrir par cet excès de modération ; bien mieux, il s’imaginait que, tandis que les deux pays étaient en guerre, la neutralité pouvait être maintenue d’un commun accord par leurs marines respectives au-delà du cap de Bonne-Espérance.

Dupleix fut chargé de cette négociation. Transféré de Chandernagor à Pondichéry, il était devenu le chef de toutes les possessions françaises dans l’Inde. Cette promotion n’était pas le résultat de la faveur, mais celui de la nécessité ; elle constituait un avantage réel pour la compagnie, endettée de plus de cinq millions. Pour remplir ce déficit, elle avait compté sur le dévouement et sur les richesses de Dupleix ; elle avait surtout spéculé sur son amour des grandes choses. Dupleix tomba dans le piége ; il répondit à l’attente de ses chefs ; il paya leurs dettes, et leur envoya des cargaisons à ses frais. C’est dans ce moment qu’il reçut la bizarre défense de relever les fortifications de Pondichéry, et cela à la veille d’une guerre ! Il n’écouta que son zèle. Malgré les ordres de la compagnie, il releva de ses propres deniers les murailles de la ville, et la mit en défense contre une attaque imprévue. La compagnie se montra satisfaite, elle ne parla plus d’économie ; mais elle consentit au prix que le gouverneur de Pondichéry avait mis à son sacrifice. Tout en jouant contre la fortune de l’Angleterre son temps, sa réputation, sa vie, Dupleix voulut rester maître absolu de ses opérations. Les gouverneurs de Pondichéry étaient forcés de consulter le conseil supérieur de la colonie ; ils ne pouvaient agir sans ses avis. Dupleix demanda et obtint d’être soustrait à ce contrôle, et de