Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/393

Cette page a été validée par deux contributeurs.
387
REVUE LITTÉRAIRE.


— L’élection du successeur de M. Étienne à l’Académie française ne tardera pas à avoir lieu ; nous n’avons pas besoin de dire qu’entre les candidats qui se présentent nos sympathies sont acquises à l’auteur d’Eloa et de Stello : nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec le public. La nomination de M. Alfred de Vigny paraît d’ailleurs assurée ; on en peut féliciter d’avance l’Académie. Par l’éclat que son nom a jeté dans la moderne école, par l’incontestable distinction de ses livres, par le caractère réservé et sérieux de son beau talent, qui fait si heureusement contraste avec la dispersion d’aujourd’hui, M. de Vigny mérite à tous égards un titre littéraire que l’illustre compagnie ne saurait lui refuser plus long-temps sans injustice. — La mort de M. Soumet laisse un autre fauteuil vacant, et cette seconde élection aura sans doute lieu le même jour que la première. Les chances paraissent être pour M. Vitet ; c’est un choix auquel on ne saurait qu’applaudir. M. Vitet a pris part avec la plus grande distinction au mouvement littéraire d’avant juillet ; son livre, récemment réimprimé, sur la Ligue est un des meilleurs souvenirs de l’alliance conclue alors entre l’imagination et la science. Depuis, M. Vitet n’a cessé, du sein de la vie politique, de rester fidèle aux lettres, et ce n’est pas aux lecteurs de la Revue qu’il est besoin de rappeler les titres si honorables de l’auteur de ce beau travail sur Lesueur et la Peinture au dix-septième siècle, qui restera parmi les meilleures compositions de la critique moderne.


Le Chevalier de Pomponne[1] est une comédie en trois actes, taillée dans le XVIIIe siècle, conduite gaiement, et versifiée d’une main preste. Tout y marche d’une allure décidée, et chacun y parle d’un ton qui, sans être toujours d’un goût irréprochable, est d’une rondeur qui plaît et sent nos vieux comiques. L’action est peu compliquée, et les personnages ne sont pas trop nombreux. Une débutante de la Comédie-Française, Mlle Vadé, fille de Vadé, franche coquette ; sa mère, — une mère d’actrice ; — le fermier-général Boursault, une dupe en amour ; la soubrette Louison, qui a du cœur et cache un noble dessein ; enfin, le chevalier de Pomponne, gentillâtre gascon, mauvaise tête, bon cœur, qui passe sa vie à aimer, à jouer et à se battre en duel, et qui, capable de toutes les étourderies, est pourtant incapable d’une bassesse : voilà le personnel de l’agréable comédie de M. Mary Lafon. Nous sommes dans les mœurs faciles, comme on voit, et quelque peu dans le monde débraillé de Turcaret. Il y avait plus d’un danger ; M. Mary Lafon s’en est tiré adroitement. Les détails scabreux, s’il y en a, passent sans encombre, parce qu’après tout, le chevalier est un honnête homme, et qu’un honnête homme dans une pièce est comme le juste dans une ville : il sauve tout. Le Sage ne songea pas à ce moyen de salut, car dans sa comédie il n’y a que des coquins. — Le rôle le plus périlleux du Chevalier de Pomponne était le rôle de la mère ; mais Mme Vadé est si ridicule, qu’on n’a pas le temps de s’apercevoir qu’elle est méprisable au premier chef. Mlle Vadé est amusante, quoique un peu chargée, quoique un peu trop dans le goût des vieilles comtesses des mauvaises comédies de Voltaire, ce qui n’empêche pas le Chevalier de Pomponne d’avoir de l’entrain d’un bout à l’autre. D’action et de dialogue, cela a une véritable saveur du XVIIIe siècle, et un accent comique qui est de bon augure.

  1. Une brochure in-8, chez Tresse.