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Narvaez a bien mérité de l’Espagne : il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les conséquences immédiates de ce bon accord qui vient de s’établir entre la cour de Rome et le gouvernement de Madrid.

En premier lieu, la reconnaissance du pape sanctionne en quelque sorte la loi qui a rendu au clergé espagnol ceux de ses biens non vendus. Assurément cette loi est fort dangereuse en principe : nous sommes trop près encore de l’ancien régime pour ne point savoir ce que c’est que de rouvrir ce gouffre de la main-morte où s’engloutissaient incessamment les richesses des familles et le bien-être des populations ; mais la reconnaissance de la reine Isabelle par le pape s’est accomplie de manière à calmer les appréhensions les plus sérieuses. Le pape n’a point demandé qu’on accordât au clergé le droit d’acquérir ; en admettant auprès de sa personne l’envoyé de la reine, au moment même où M. Martinez de la Rosa déclarait en pleines cortès que les acquéreurs des biens du clergé aliénés déjà ne seraient point inquiétés, le pape a formellement reconnu les droits de ces acquéreurs. Et que savons-nous encore ? peut-être un tel acte forcera-t-il plus tard le gouvernement de Madrid à réparer la faute réelle qu’il a commise en rétablissant la main-morte. Les biens rendus au clergé ne subvenant pas même au tiers de ses besoins, le gouvernement de Madrid et le clergé comprendront, s’il est bien arrêté que ces biens ne peuvent s’accroître, que c’est pour le clergé une position fausse, périlleuse, et gratuitement irritante d’administrer ses propres richesses, comme s’il formait une sorte d’état dans l’état, tandis qu’en réalité l’état lui-même sera tenu de pourvoir à sa subsistance. Que le gouvernement de Madrid tranche les complications contre lesquelles il s’est jusqu’ici débattu, que les passions se calment enfin, et nous ne désespérons pas, quand le moment sera venu de discuter la constitution civile du clergé, qu’on s’attache à faire au clergé la situation qui véritablement lui convient, et à restaurer les principes sur lesquels, selon l’esprit du nouveau régime, se doivent fonder les relations entre l’église et l’état.

Ce n’est pas tout, nous sommes autorisés à croire qu’avant de prendre un parti si décisif à l’égard de la reine constitutionnelle d’Espagne, le saint-siège a sondé les dispositions des souverains, qui, depuis 1833, ont accordé leur appui moral à l’infant don Carlos ; le nonce du pape apporte à Madrid la reconnaissance tacite des puissances du Nord. On peut espérer maintenant, sans s’exposer à ce que les évènemens trompent de telles prévisions, que la reconnaissance explicite elle-même ne se fera pas long-temps attendre. C’est là un point sur lequel le parti apostolique ne se fait pas illusion. Nous n’en voulons pour preuve que la colère de ses organes, le Calolico et la Esperanza, qui, tout en protestant de leur respect à l’égard du saint-siège, expriment leur mécontentement de la façon la plus manifeste. Au surplus, il dépend du gouvernement de Madrid lui-même de surmonter les derniers scrupules des puissances qui, jusqu’à ce jour, lui ont le plus constamment tenu rigueur. Avec la réforme de la constitution et la dévolution des biens du