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Il s’effacera le plus possible ; il laissera passer ce nouvel orage, et remettra tout le fardeau à la chambre des pairs. Malheureusement pour le cabinet, les complaisances de la noble chambre commencent à devenir moins sûres et moins fréquentes. Il s’y forme un noyau d’opposition qui fait naître des réflexions sérieuses. On nomme, il est vrai, de nouveaux pairs pour retremper les dévouemens et les affections ; mais le terrain s’épuise et la source tarit. Ce n’est plus une difficulté pour la noble chambre de contrarier un désir du cabinet, et de repousser une loi soutenue par lui : c’est presque un plaisir. Demandez à M. Dumon, si mal payé de sa courtoisie pour la proposition de M. Daru sur l’agiotage des chemins de fer ! M. Dumon, au nom du gouvernement, soutenait avec la commission ce système impraticable dont nous avons déjà parlé, et que M. d’Argout a si spirituellement combattu. M. Dumon a vu son projet repoussé par une majorité de 86 voix contre 51 : n’est-ce pas un fait grave ? On assure que M. le ministre des travaux publics a été très sensible à cet échec, qui paraît, du reste, n’avoir affligé que lui et ses collègues. On raconte à ce propos une scène fort singulière, qui se serait passée en haut lieu : il paraîtrait que l’échec de l’honorable ministre aurait excité un autre sentiment que le regret ou la compassion, et que sa défaite aurait été considérée comme un malheur bien mérité. Tel est le sort des ministères qui ont compromis leur dignité devant les chambres. On a peu d’estime pour eux, et l’on se passe avec eux ses fantaisies.

Il y a quinze jours, il n’était question, au-delà des Pyrénées, que de conspirations étouffées, de troubles en Galice et en Catalogne. Des cabecillas étaient parvenus à reformer leurs bandes ; on allait revenir, disait-on, aux plus mauvais temps de la guerre civile. A l’heure où nous sommes, toutes ces craintes sont dissipées déjà, Dieu merci ; la Péninsule jouit enfin d’une tranquillité qui, selon toute apparence, ne sera pas de si tôt compromise. Le seul évènement dont s’occupe aujourd’hui l’Espagne, c’est la reconnaissance de la reine Isabelle par le pape, c’est le résultat véritablement heureux des négociations entamées par le cabinet Narvaez avec le saint-siège. Depuis un an environ, cet évènement, que nous avons nous-mêmes annoncé il y a long-temps, était prévu à Rome et à Madrid : il n’en a pas moins produit dans la Péninsule une sensation immense, et l’on n’a pas de peine à s’en rendre raison. La catholique Espagne, le vieux pays des Ferdinand V et des Recarède, s’indignait de se voir exposée aux anathèmes du Vatican ; les consciences éprouvaient de réelles et profondes inquiétudes, et c’était pour l’église elle-même, bien plus encore que pour l’état, qu’on devait s’alarmer d’une pareille situation. Il faudrait ne point connaître le caractère espagnol pour ignorer combien il est prompt à passer de l’extrême affliction à l’extrême colère, et combien, en de telles circonstances, lui coûtent peu les résolutions désespérées. Les journaux modérés félicitent vivement le cabinet Narvaez d’avoir obtenu du saint-siège ce que tant d’autres ministères avaient sollicité en pure perte. Il est juste de convenir, en effet, qu’en menant à bonne fin une affaire si difficile, le cabinet