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eût peut-être fait quelques pas de moins dans la route où elle s’est engagée à la suite du ministère, représenté et dirigé par M. le comte Beugnot. Au surplus, l’intervention de M. de Montalivet a modéré la fougue des abolitionistes impatiens. Quand il s’est agi du rachat forcé, on a vu que l’influence de M. Beugnot avait considérablement diminué. La commission, pour empêcher la désorganisation du travail, avait stipulé entre le rachat consommé et le jour de la liberté un délai de cinq ans, pendant lesquels l’esclave racheté serait tenu de rester au service de son maître, d’après des conditions fixées. M. Beugnot a proposé un amendement qui détruit en réalité les garanties de cette situation transitoire ; mais l’amendement n’a passé qu’après une épreuve douteuse, et enfin, malgré beaucoup d’efforts, et de toute nature, la loi, expression incomplète des vœux du cabinet, a rencontré au scrutin une opposition de 56 voix.

Telle a été cette longue discussion de la loi des colonies, où les échecs et les succès ont été balancés de part et d’autre, et où la victoire n’appartient réellement à personne. Le ministère voulait statuer sur l’émancipation par ordonnance ; on lui a imposé le régime de la loi. Il voulait des cours prévôtales ; on les lui a refusées. La commission voulait maintenir l’autorité des maîtres sur les esclaves ; on l’a affaiblie. Elle voulait ménager la transition du travail forcé au travail libre ; on a diminué les garanties qu’elle voulait prendre. D’un autre côté, les partisans de l’émancipation générale, simultanée ou immédiate, n’ont rien obtenu. Ils ont fait de grands discours, et voilà tout. Quant aux partisans de l’esclavage, s’il y en a, ils ont été vaincus, car la loi votée est une loi d’émancipation. Seulement, ce n’est la loi de personne en particulier ; chacun y a mis du sien. On peut dire néanmoins que le système dont elle se rapproche le plus est celui de la commission. C’est une loi d’émancipation graduelle et progressive, dont les défauts, quoique graves, n’altèrent pas profondément l’ensemble, et où le bien domine le mal. Les hommes les plus expérimentés de la chambre ont pris part à la discussion. M. Barthe, qui se montre ordinairement si réservé dans ses manifestations politiques, et qui exerce sur la noble chambre une influence redoutée du cabinet, n’a pas voulu s’associer jusqu’au bout aux amendemens de M. le comte Beugnot. Une vive lumière a été répandue sur le débat par les discours de M. d’Audiffret, de M. de Saint-Priest, de M. de la Moskowa, de M. Cubières. Nous ne parlons pas de M. Charles Dupin, qui malheureusement a dit beaucoup trop de choses. M. le baron Dupin est trop convaincu ; il a trop d’argumens à son service : nous lui conseillons d’en mettre un certain nombre de côté une autre fois. Quant au ministère, il est triste de penser que cette discussion si grave n’a été pour lui qu’un expédient, imaginé pour simplifier l’arrangement du droit de visite, et pour montrer son zèle à l’Angleterre. Cette situation fausse explique l’attitude embarrassée qu’il a toujours gardée devant la chambre.

Cette discussion des colonies nous amène naturellement à parler de M. le