Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le dire, a joué le plus singulier rôle dans ce débat. D’abord, on l’a entendu déclarer qu’il ne défendrait pas son projet primitif, et qu’il adoptait celui de la commission ; puis, chaque fois que la commission a été attaquée, il ne l’a pas défendue ; bien plus, il a encouragé, il a soutenu ses adversaires, il a préparé avec eux les amendemens proposés contre elle ; il a été son ennemi caché, et M. le comte Beugnot a été l’ennemi déclaré, chargé de porter les premiers coups, et de dissimuler, en cas d’échec, l’humiliation du cabinet. Ce rôle, d’ailleurs, s’accordait avec les convictions particulières de M. le comte Beugnot. Le noble pair voulait l’émancipation immédiate. Il blâmait sincèrement tous les articles de la commission ; il aurait voulu la suppression pure et simple de l’esclavage. Il n’a donc pas été fâché de joindre sa cause à celle du cabinet, quels que fussent les motifs qui dirigeaient la conduite équivoque de ce dernier.

Cette réaction, sourdement conduite par le ministère contre un projet qu’il avait lui-même approuvé, et qu’il n’osait pas attaquer de front devant la chambre, a rencontré dans M. de Montalivet un adversaire décidé, dont l’intervention imprévue a causé sur le banc ministériel une vive impression. Il s’agissait de l’article premier, qui donne à l’esclave les moyens de former son pécule, et de racheter par-là sa liberté. Dans le projet de la commission, l’esclave peut obtenir du maître, en échange de la nourriture et de l’entretien, un ou plusieurs jours par semaine ; mais la convention est révocable par la volonté de l’une des parties. Un amendement de M. Beugnot, voté par la chambre, est venu détruire cette juste réciprocité. Il accorde à l’esclave et refuse au maître le droit de rompre la convention. Cet amendement, qui subordonne le maître à l’esclave, et substitue, comme M. de Montalivet l’a dit, le caprice des noirs au caprice des blancs, a inspiré à l’honorable pair des critiques fort justes et de sages avertissemens. M. de Montalivet a parlé en homme d’état qui cherche avant tout le côté pratique des choses, qui croit que la philanthropie ne dispense pas de la justice et du bon sens, et qui ne se laisse pas éblouir par les déclamations. Il voyait la pente dangereuse où l’on voulait entraîner la chambre. Il voyait les menées du ministère, et son désir impolitique de faire inscrire dans la loi des mesures de défiance et de dureté contre les colons. Il a cru devoir protester contre ces tendances fâcheuses, et il l’a fait avec une chaleureuse conviction. Cet incident, comme on sait, a beaucoup troublé le ministère. Il en a été grandement question aux Tuileries. Toute la chambre des pairs a vu M. Guizot solliciter M. de Montalivet de retirer l’amendement que l’ancien ministre du 15 avril avait présenté, et qu’il a soutenu de nouveau, malgré les vives instances de M. le ministre des affaires étrangères. Décidément, M. Guizot joue de malheur. Il a beau répéter que M. de Montalivet soutient le ministère, personne n’y croit, et tout le monde est persuadé que M. Guizot ne le croit pas lui-même.

Nous regrettons que M. de Montalivet n’ait pas prononcé dans la discussion générale les sages paroles qu’il a fait entendre au sujet du premier vote de la chambre. L’esprit de la loi s’en serait ressenti. La chambre des pairs