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de la loi, il a été forcé de prendre un système d’émancipation défini et limité, au lieu des pouvoirs discrétionnaires qu’il avait réclamés.

Rendons justice à la commission. Elle avait un rôle difficile à remplir. Du moment qu’elle refusait au ministère le droit d’émanciper les colonies par ordonnances, il fallait qu’elle remplaçât le projet du gouvernement par un projet nouveau, et qu’elle dressât un plan détaillé d’émancipation, au lieu des principes que le gouvernement avait posés d’une manière sommaire, et qu’il se réservait d’appliquer arbitrairement. La commission s’est acquittée de cette tâche avec prudence. Elle s’est montrée favorable au système d’émancipation graduelle, éprouvé par le temps. Elle a tenu le milieu entre les abolitionistes ardens et les abolitionistes timides. Pendant que les uns voulaient supprimer l’esclavage sans se demander ce que les noirs feraient de leur liberté, et pendant que les autres s’exagéraient les difficultés de l’entreprise, la commission, inspirée par l’humanité et le bon sens, proposait des mesures qui ont à la fois pour but de préparer l’émancipation et d’en assurer le succès. Avant de renverser l’esclavage, elle a voulu asseoir les fondemens d’une société nouvelle, capable d’être appelée à la liberté. Elle a songé à organiser le travail pour garantir les grands intérêts qui se rattachent à la destinée industrielle et commerciale de nos colonies. L’œuvre de la commission était empreinte d’un esprit de sagesse que l’on n’a pas assez respecté. Nous regrettons les changemens que la noble chambre y a introduits. Ces changemens nous ont paru déroger à ses habitudes conservatrices, et ne pas répondre aux véritables tendances de la majorité.

Le projet de la commission, comme celui du gouvernement, était basé sur deux dispositions principales, le pécule et le rachat des esclaves ; c’était le pivot de la loi. Il y avait seulement cette différence entre le projet du ministère et celui de la commission, que le premier livrait à l’ordonnance le règlement de ces matières importantes, et lui abandonnait par là le droit de précipiter ou de retarder l’émancipation au gré de la volonté ministérielle, tandis que la commission, au contraire, appelait l’autorité législative à statuer sur ces objets d’une manière précise, afin que l’émancipation ne fût pas laissée à l’arbitraire du gouvernement.

Le pécule est une disposition fondamentale. Sans le pécule, c’est-à-dire sans le caractère légal donné à la propriété de l’esclave, le rachat est impossible. La légalité du pécule est l’abrogation formelle du code noir, qui déclare que l’esclave ne peut rien posséder en propre. Toutefois, par la tolérance et la générosité des maîtres, le pécule existe déjà dans les colonies, et la propriété de l’esclave est admise en fait. La loi nouvelle la consacre comme un droit. Par là, l’esclave devient personne civile ; il cesse d’être une chose : il acquiert, il reçoit, il transmet.

Cette question du pécule, soulevée dès le premier article de la loi par une disposition qui s’y rattachait étroitement, a fait naître une discussion intéressante qui a montré du premier coup les intentions réelles du cabinet, et les hésitations des meilleurs esprits de la chambre. Le ministère, nous pouvons