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défiance que l’on exprime à leur égard n’est donc pas méritée. Leur conduite passée répond de leur conduite future. On n’a pas le droit de les traiter en ennemis de l’humanité. Dire qu’ils ne céderont que devant la force, c’est oublier les sacrifices réels qu’ils se sont déjà imposés, et mettre la passion à la place de la vérité et de la justice.

Une chose d’ailleurs que tous les hommes sages reconnaissent, c’est que l’émancipation, pour réussir, a besoin du secours des colons. Si l’on veut que le passage de la servitude à la liberté s’effectue sans secousse, et que tous les liens qui attachent les esclaves à une vie régulière et laborieuse ne soient pas rompus dès le jour où la liberté commencera pour eux, il faut apprendre aux esclaves à respecter leurs maîtres, à les aimer ; il faut que le bienfait de l’indépendance et la reconnaissance qui en découle soient partagés entre les colons et la métropole. Autrement, si vous détruisez le prestige moral des maîtres, si vous les abaissez, vous ferez entrer dans l’ame des nouveaux affranchis un sentiment de supériorité et de triomphe qui ne connaîtra pas de frein. Deux races seront en présence, l’une vaincue, l’autre exaltée par un orgueil barbare : situation terrible, qui pourrait préparer bien des remords aux imprudens sectaires d’une philanthropie impatiente.

Tout le monde veut l’émancipation ; tout le monde sait que la cause de l’esclavage est perdue ; on le sait aux colonies comme en France. Grace à Dieu, la question n’est plus là, et nos abolitionistes ne sont pas des Wilberforce. Il est fâcheux que d’honorables pairs s’y soient mépris, et que, dans l’ardeur de leur zèle pour l’affranchissement des noirs, ils aient cru devoir accuser les intentions des blancs. La philanthropie ne devrait jamais exclure la charité. De quoi s’agit-il ? De voter sur un principe ? Non. Il s’agit seulement de déterminer le mode qui sera appliqué pour l’émancipation. Les uns veulent une émancipation immédiate, les autres une émancipation graduelle, et, parmi ces derniers, la question de temps et le choix des moyens soulèvent encore de graves dissidences. Voilà l’exacte vérité. Nous sommes surpris qu’elle ait été si souvent méconnue, depuis quinze jours, à la tribune et dans la presse, et nous en sommes fâchés pour l’honneur de notre pays. Que doit penser l’Angleterre en voyant chez nous une moitié de la presse accuser l’autre de soutenir l’esclavage, et une partie de la chambre des pairs adresser le même reproche à des hommes qui jouissent d’une grande considération dans notre parlement ? Que pourrions-nous répondre aux saints de l’Angleterre, s’ils invoquaient aujourd’hui contre nous notre propre témoignage pour démontrer la nécessité de maintenir le droit de visite ?

La France, comme l’a dit M. Beugnot, a pris depuis long temps l’engagement de supprimer l’esclavage. Lorsque nos chambres, en 1818, ont voté l’interdiction de la traite, l’abolition de l’esclavage dans nos colonies a été désormais un principe arrêté. Aussi le gouvernement a marché dans la voie de ce principe. Il a entrepris une œuvre d’émancipation graduelle. En 1833, une loi attribue la jouissance des droits politiques à tous les affranchis ; plus tard vient l’ordonnance sur les recensemens annuels, qui réprime l’importation