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(Roeschen’s Sterbelied), deux aimables élégies qui figurent dans les œuvres complètes. Pour ce qui regarde la seconde de ces deux pièces, peut-être le poète, devenu plus sévère avec l’âge, l’aura-t-il jugée d’une sentimentalité légèrement affectée, reproche qu’on adresserait, ce nous semble, à bien meilleur droit à la chanson intitulée : Douces funérailles (Süsses Begrâbniss), qui n’en a pas moins pris rang dans la collection. Quant aux Trois Étoiles sur la terre, en y réfléchissant, j’avoue que l’idée de cette pièce, se trouvant reproduite sous une autre forme dans les Esprits du Printemps (Frühlings Geister), Rückert ne pouvait que choisir entre les deux. La seule question serait de savoir s’il a bien fait de se décider pour les Esprits du Printemps, de donner à la poésie de seconde main la préférence sur l’inspiration originale. Ici comme dans les Trois Étoiles, de surnaturelles apparitions descendent de tous côtés sur le poète et viennent l’entretenir de la mystérieuse patrie :


« De célestes pensées, d’ineffables sensations m’inondent en cette fraîcheur ; du haut des cimes bleues je les vois descendre et prendre corps ; leurs membres exhalent les parfums du printemps. — Celle-ci devient une fleur, cette autre un papillon. On dirait un groupe de chérubins autour du tabernacle. L’un, bruissement léger, se perd dans la feuillée ; l’autre, frais murmure, va rider la surface des eaux. Leurs chœurs vaporeux me bercent en doux songes ; ils m’annoncent des choses d’une autre sphère ; ils me content que déjà nous nous sommes vus ensemble dans un Éden d’où nous venons, où nous retournerons. »


Cependant les évènemens de 1812 et 1813 vinrent arracher le poète à ses pastorales rêveries. À cette époque, les voix belliqueuses s’élevaient de plusieurs points de l’Allemagne. Arndt, Max de Schenkendorf, Théodore Koerner, Forster et toute une génération de Tyrtées, entonnaient contre nous le hurrah prophétique aux lueurs de l’incendie de Moscou. Rückert, entraîné vers l’ardente phalange, publia alors les Poésies allemandes de Freymund Reymar (Die deutschen Gedichte von Freymund Reymar). Ce recueil, qui fixa pour la première fois l’attention du public sur le poète, contenait les Sonnets cuirassés (die geharnischten Sonette), poèmes de circonstance, écrits de verve et d’enthousiasme, et qui prennent leurs armes partout. Du reste, on ne saurait refuser à ces dithyrambes empanachés de fleurs sanglantes (où ne retrouvez-vous pas les fleurs chez Rückert ?), à ces sonnets dont l’étincelante armure se décore au soleil de la rose empourprée des batailles, une ironie ardente, un trait qui emporte la pièce, et qu’on chercherait vainement