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et je m’étonnai en regardant dans ma poitrine de n’y pas moins trouver l’amour. Oui, ces mille parcelles d’amour que j’avais vues naguère dispersées ici et là, au ciel et sur la terre, elles étaient là désormais rassemblées.

« C’est pourquoi je voudrais savoir où mes regards pourraient plonger sans te voir, Amour, où je pourrais aller pour éviter ta présence, car je te porte avec moi à travers le monde dans la cellule de mon cœur, et je sens que tu m’accompagneras au tombeau et dans le ciel. »


Ce livre est une peinture assez vraie d’une sorte d’initiation douloureuse par laquelle il faut qu’un poète ait passé, et vous y retrouvez fidèlement exprimées les indicibles aspirations, les langueurs, les fantaisies d’une ame qui travaille à mettre d’accord ses sensations intérieures avec les phénomènes du dehors, le bouillonnement d’une poésie qui cherche son niveau. Une verve sincère et de bon aloi, quelque chose qui ressemble à du sang généreux, circule dans ce lyrisme où, comme pour mieux indiquer la jeunesse, un peu d’imitation se laisse surprendre, de cette imitation des muses novices qui se promènent indistinctement d’un genre à l’autre, et vont d’essais en essais, changeant à leur insu de sujet et de style, selon la lecture du jour. Tantôt c’est la sentimentalité légèrement surannée de Salis ou de Matthisson, tantôt la strophe alambiquée de Schiller ; mais à travers ces élémens d’origine diverse, que du reste il modifie avec goût et finesse en se les appropriant, l’originalité instinctive perce toujours par quelque trait : je veux parler d’une certaine grace enfantine qui va et vient, de ce sourire parmi les larmes qui rend ses tristesses aimables. La plaintive élégie, sans se dépouiller complètement des longs habits de deuil dont la revêt Boileau, se couronne chez Rückert des plus fraîches roses du printemps et de ses jasmins les plus embaumés. Ce n’est pas lui qui, dans la chambre d’une belle trépassée, oubliera jamais le lis mystique épanoui près du chevet. Ceci me rappelle une charmante pièce que j’essaierai de traduire en passant : le poète, troublé d’un mal dont souffre sa maîtresse, vient à l’église pour prier, et, comme il s’approche du banc accoutumé, aperçoit l’ange gardien de la jeune fille qui l’avait devancé :

A la place où dans l’église
Elle vient prier,
J’ai vu, jugez ma surprise,
Un bel ange en robe grise
A genoux hier.