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ne le serait point par une adhésion plus ou moins générale à telle ou telle croyance surnaturelle. C’est qu’en effet il n’est pas possible qu’une si grande chose ne soit pas par elle seule une chose morale ; il n’est pas possible que la puissance avec laquelle s’organise un ordre social ne soit pas une puissance divine, même lorsqu’elle ne se révèle pas, du milieu des tonnerres et des éclairs, à un législateur inspiré, même quand elle ne se marque pas sur un front privilégié avec l’huile miraculeuse de l’onction sacerdotale. Laïques ou théocratiques, je ne sais plus maintenant que ces deux mots aux prises dans l’histoire, laïques ou théocratiques, toutes les sociétés existent par la grace de Dieu, par la protection naturelle du Dieu de la raison aussi bien et au même titre que par les commandemens positifs du Dieu de la foi. Et qui serait assez pusillanime pour dissimuler cette vérité salutaire en présence des chétives colères du moment ? Descendons au fond de la société, interrogeons-la telle qu’elle est, telle qu’elle veut être ; étudions sincèrement ce que ses ennemis appellent la cause de sa ruine, ce que nous appelons la cause de sa régénération. N’est-il pas certain qu’aujourd’hui c’est le Dieu de la raison qui fait la place au Dieu de la foi ? n’est-il pas évident que l’état s’incline, non pas comme le dit M. Lacordaire, devant tel dogme particulier, mais devant le principe de civilisation déposé sous tous les dogmes ? Ne craignons pas de le proclamer, lorsque l’état salue le prêtre catholique, l’état d’à-présent, la France de 89 et du concordat, ce qu’il honore dans cette sainte personne, ce n’est pas ce que suppose M. Lacordaire, ce n’est pas le sacrificateur, parce qu’alors il ne pourrait plus également honorer ni le prêtre protestant ni le prêtre juif qui ne sacrifient pas de la même manière ou ne sacrifient plus ; c’est le représentant des idées éternelles de morale et de religion qu’il porte en lui-même, et qu’il ne saurait nulle part déployer sans le secours des cultes. N’est-ce donc pas assez, et le ministère du prêtre a-t-il jamais été plus sublime, son rôle plus magnifique et plus pur ? L’état enfin peut-il montrer plus de piété qu’au jour où, traitant avec les mêmes égards tous les dogmes surnaturels, il les accueille tous au nom de l’autorité qui leur est commune et professe non par indifférence, mais par réflexion, qu’ils sont tous sacrés ? Vainement on lui prodigue l’injure et la calomnie. Cette solennelle impartialité du génie politique, ce n’est pas l’aveu sans pudeur d’une insouciance brutale, c’est le degré le plus élevé qu’ait encore atteint la discipline religieuse. Quoi ! lorsque le juif, le protestant et le catholique, fermant sur la société civile les barrières d’un culte exclusif, n’admettaient dans l’état que ce qui entrait dans l’église, lorsqu’ils se renvoyaient