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partage en quatre divisions qui présentent elles-mêmes une foule de fleurs partielles, se referme un peu après l’épanouissement, s’accroît, et se change en une grosse pomme qui n’est jamais complètement fermée.

— C’est bien possible, dit Maurice, et avec les petites graines, pareilles à des amandes, on fait une jolie teinture rouge. Au-dessus de cet arbre-là, on trouve encore celui que vous venez de nommer qui a la feuille si délicate, et dont les chèvres sauvages aiment à brouter les jeunes pousses. Les noirs marrons se cachent volontiers sous leur ombre, et, pour peu qu’ils eussent des armes à feu, je vous demande comment on pourrait les en déloger ? Avec cela, le terrain est souvent coupé de torrents, embarrassé de quartiers de rocs ; l’herbe cache des trous profonds dans lesquels on tombe tout de son long sur des pierres, le fusil d’un côté, le chapeau de l’autre. Pendant ce temps, le noir que vous poursuivez vous allonge un coup de bâton, ou tout au moins s’esquive.

— Nous avions cerné un de ces bois où les fugitifs venaient de se rallier ; ils nous y glissèrent entre les mains, descendirent un coteau à pic, au fond duquel coule une rivière, et, sans savoir où irait aboutir cette battue, nous les suivîmes au pas de charge. À mesure que nous avancions, la colère nous donnait des forces, et moins nous avions de chances d’arrêter les déserteurs, plus il devenait probable que nous finirions par en tuer quelques-uns à coups de fusil. Le Malais qui avait donné l’alarme au camp de la plaine courait surtout grand risque de recevoir une balle. Dans l’île entière, on le redoutait à cause de la férocité assez naturelle à sa race et de ses méfaits particuliers : convaincu de meurtre, il s’était enfui de la prison et se conduisait en vrai bandit qui n’a plus rien à ménager. Amené jeune dans la colonie par des négriers de contrebande qu’on soupçonnait de piraterie, il y jetait le désordre et la confusion par ses vengeances hardies. Avec de pareils esclaves, on ne pourrait jamais vivre en sûreté. Dieu merci ! ils sont peu nombreux. La couleur du Malais, moins foncée que celle de ses compagnons, le trahissait même dans l’ombre qui cachait les autres, mais l’incroyable agilité de ses mouvements, la rapidité de sa course, le mettaient à l’abri des dangers auxquels il s’exposait comme à plaisir.

— Dans cette retraite précipitée, les noirs paraissaient se réunir sur un seul point, pour franchir le torrent avant que nous pussions leur barrer le chemin. Un vieil arbre jeté en travers sur le ravin leur servait de pont ; mais comme cet arbre était vermoulu, il fallait qu’ils