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plus forte preuve de la divinité du christianisme, c’est la loi du sacrifice ; le prêtre n’est rien s’il n’est le sacrificateur, et s’il est le sacrificateur, c’est par une institution qui ne peut relever que d’un commandement immédiat de Dieu ; le prêtre, c’est l’homme qui n’existe ni par la morale, ni par la philosophie, ni par l’état, ni par le monde ; le sacrifice est le type de toutes les œuvres surhumaines qui sont à la fois impossibles à notre force et à notre faiblesse ! » Nous avons vu Bourdaloue condamner M. Lacordaire en lui citant Aristote ; voici maintenant Bossuet qui va chercher Platon pour donner un sens plus raisonnable et des antécédens plus humains à cette immolation divine, à cet admirable exemple du sacrifice infini que le christianisme a proposé pour modèle à la terre. « Il fallait faire voir à l’homme de bien que dans les plus grandes extrémités il n’a besoin ni d’aucune consolation humaine, ni d’aucune marque sensible du secours divin. Le plus sage des philosophes, en cherchant l’idée de la vertu, a trouvé que le plus vertueux devait être sans difficulté celui à qui sa vertu attire par sa perfection la jalousie de tous les hommes, en sorte qu’il n’ait pour lui que sa conscience, et qu’il se voie exposé à toutes sortes d’injures, jusqu’à être mis sur la croix, sans que sa vertu lui puisse donner ce faible secours de l’exempter d’un tel supplice. Ne semble-t-il pas que Dieu n’ait mis cette merveilleuse idée de vertu dans l’esprit d’un philosophe que pour la rendre effective dans la personne de son fils[1] ? » Voilà comment raisonnait le christianisme du XVIIe siècle, et la religion elle-même gagnait à cette noble façon de comprendre les choses. L’école nouvelle a fait du sacrifice imposé par l’exemple du Christ quelque chose qui ressemble, en théorie du moins, à l’effort de l’esclave courbé sur sa tâche pour amasser son pécule ; on a voulu que ce fût l’effet d’un miracle auquel la seule intelligence ne pût jamais atteindre ; on l’a pris exprès pour une marque d’abaissement et d’ignominie ; on y voyait autrefois une marque d’honneur et comme le signe de la dignité humaine. Lisez Bourdaloue, c’est ainsi qu’en toute rencontre il explique la passion ; il sent bien mieux la joie du Dieu qui se dévoue que la misère de l’homme qui souffre ; il trouve à l’adorer et à l’imiter beaucoup plus de douceur que de honte, et les lumières naturelles lui semblent tout aussi bien de mise en pareille occasion que les élans inspirés d’un zèle miraculeux. J’aime à citer ici Bourdaloue : je sais bien que sa fameuse sévérité reste toujours la sévérité indulgente du jésuite ; mais cette indulgence est si honnête et si profondément

  1. Discours sur l’histoire universelle, part. II, chap. XIX.