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à un détachement qui devait les emmener à la geôle, et on convint de poursuivre le reste de la bande dans ses derniers retranchements ; j’étais trop animé pour songer à ma blessure et je résolus de faire la campagne jusqu’au bout. On eut quelque peine à désarmer les captifs qui se défendaient comme les grands singes d’Afrique, avec des pierres et des bâtons. Dans ces cas-là, on est en colère et on ne peut pas trop ménager ses mouvements.

« Où est Quinola ? demanda un créole à un vieux noir qui avait reçu au frontun coup de crosse. — Je ne sais pas, répondit celui-ci. — Quand l’as-tu vu ? — Il n’y a pas long-temps ! »

Et comme nous nous regardions avec surprise, il ajouta : « Quinola n’est pas mort ; il ne veut pas mourir dans l’île ! »


IV.

Quinola était Malgache, continua Maurice en secouant les cendres de sa pipe, et les gens de Madagascar n’aiment pas à mourir loin de leur pays ; mourir, pour eux, c’est une grande affaire qu’ils ne peuvent pas conduire à leur gré hors de chez eux. Dès qu’un malade a fermé les yeux, ses parents entourent la case et tirent des coups de fusil depuis le soir jusqu’au matin pour éloigner les mauvais génies qui voudraient enlever son corps ; le lendemain, on revêt le cadavre de ses plus beaux vêtements, on l’enferme dans un cercueil tout comme un chrétien, et on va l’enterrer hors du village. S’il est riche, on le conduit en grande pompe auprès de ses aïeux, qui l’attendent dans un tombeau particulier rangés dans des bières d’un bois précieux ; s’il n’appartient pas à une famille distinguée, on construit une case sur le lieu même de sa sépulture, et, devant cette case, on suspend à une perche les cornes des bœufs qui ont été immolés pendant sa maladie pour obtenir sa guérison et à l’occasion même de sa mort. Ils prétendent que le défunt peut prendre la forme d’un mauvais génie, apparaître à ceux qui l’ont connu et leur parler en songe. Nous avons des esclaves de Madagascar qui entretiennent des relations suivies avec les gens de l’autre monde, et ces apparitions, si elles se renouvellent souvent, sont cause que le chagrin s’empare d’eux, la maladie du pays les prend, ils meurent avec l’espoir de retourner près de ceux qui les appellent. Enfin, ils croient aussi qu’un mort recommence quelquefois à vivre sous la forme d’un animal, d’une plante ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’on a vu dès serpents sur la tombe d’un chef célèbre