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à la main des bâtons faits en forme de massue ou armés d’une pointe de fer ; quelques-uns avaient à la ceinture des couteaux bien aiguisés ; ceux que couvraient à demi des lambeaux d’habillement volés dans les habitations paraissaient misérables ; ceux dont la peau reluisait au soleil, librement, à l’état de nature, représentaient au moins l’homme sauvage : le noir est vêtu de sa couleur. Il y en avait là de plusieurs races ; mais le vieux Malgache que je cherchais des yeux ne faisait point partie de la bande.

Il me sembla que les marrons venaient de terminer leur repas ; on voyait des petits tas de cendre sous lesquelles ils avaient fait cuire des bananes et des patates douces, quelques tiges de palmistes effeuillées. La faim me talonnait, et j’aurais volontiers dévoré les pêches à moitié mûres que je portais dans mon sac, mais j’étais en face de l’ennemi. Tous ces esclaves amaigris par la fatigue, réduits à se procurer au prix de mille dangers une nourriture souvent insuffisante, à errer dans les montagnes comme les bêtes malfaisantes qui craignent le fusil du chasseur, à se cacher dans les trous en attendant l’heure du pillage, tous ces esclaves échappés des quatre coins de l’île, après y avoir été jetés de dix endroits différents de la côte d’Afrique, n’avaient pourtant qu’une pensée, et cette pensée leur donnait le courage de continuer cette misérable existence : ils s’étaient affranchis du travail et se trouvaient heureux. Avec cette différence qu’ils n’avaient rien de gracieux et que la cage était ouverte, je me rappelais, en voyant ces vilains noirs campés dans la plaine fermée de rochers, les grandes volières dans lesquelles les planteurs des villages rassemblent des oiseaux de tous pays.

J’éprouvais donc quelque envie de les troubler dans leur fainéantise en tirant un coup de fusil au milieu de la bande, mais un sifflement aigu les réveilla comme par enchantement. En une seconde, ils se dressèrent sur leurs pieds, saisirent leurs bâtons, et échangèrent quelques signes avec celui qui venait de donner l’alarme. C’était un Malais, petit, trapu, bon coureur ; je l’ajustai à l’instant où il débouchait sur la plaine, mais il fit un geste pour me narguer ; la balle avait sifflé à ses oreilles sans l’atteindre. Avant que mon fusil fût rechargé, les marrons, en pleine déroute, s’étaient dispersés comme un troupeau de chèvres ; ils couraient, sautaient par dessus les buissons, se faufilaient à travers les bois, en cherchant à gagner le morne des Palmistes. Les créoles de Saint-Benoît, arrivés à l’instant même par le côté de l’étang, les traquèrent avec vigueur ; mes compagnons s’avancèrent rapidement par l’autre extrémité de la plaine, et quelques traînards de la troupe des marrons furent faits prisonniers. On les confia