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Selon la mode maltaise, ils étaient, comme nous tous, vêtus de toile blanche de la tête aux pieds et coiffés d’un grand chapeau de paille. Les jeunes ladies elles-mêmes avaient substitué une longue robe de coutil aux lourdes amazones de drap de mise à Regent’s Park. Cette conformité de costumes, cette absence de toute distinction, l’éloignement surtout du pays natal, rendaient ces rencontres amusantes et presque familières. Sans se rien dire, si l’on suivait la même direction, une des cavalcades défiait l’autre à la course ; c’était à qui renverrait aux autres la poussière ; on franchissait les fossés, on sautait les murs ; notre amour-propre de chasseurs s’en mêlait, et nous faisions des steeple-chase à nous rompre le cou. Au retour, nous déjeunions gaiement à l’Hôtel Clarence, où une aimable hôtesse, notre compatriote, Mme Goubeau, mettait à notre disposition les journaux de France, entre autres la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris. Tandis que le soleil pétillait au dehors, nous passions le jour au frais, dans des chambres bien closes, bien aérées, couchés à l’orientale sur des tapis, fumant de bons cigares, tantôt causant, tantôt écoutant Grisar qui nous jouait quelques-unes de ses suaves mélodies. Quoique la température soit à Malte moins brûlante qu’en Grèce, elle est chaude et très peu variable. En été, le thermomètre Réaumur est presque toujours à 25°, jamais au-dessus de 28°. Les pluies et même les nuages sont d’une rareté phénoménale ; on a toujours au-dessus de la tête un ciel bleu sans tache. Aussi la plupart des maisons, bâties selon la mode d’Orient, n’ont-elles d’ouvertures que sur une cour intérieure, souvent remplie de fleurs, entourée d’une galerie à chaque étage et comme couverte par un pan du ciel. L’hiver, le thermomètre ne dépasse pas le 8me degré au-dessus de 0. Une gelée blanche est chose inconnue et serait regardée comme une calamité publique. On raconte cependant que, vers la fin du dernier siècle, un paysan vint un beau matin en toute hâte prévenir le grand-maître qu’il avait vu dans son champ ce que les enfans appellent une chandelle de glace. Le grand-maître fit aussitôt seller un cheval et partit avec tous les chevaliers qui se trouvèrent présens ; mais quelque diligence qu’ils firent, ils arrivèrent trop tard, la glace était fondue. — Le soir, quand rougissait sur les murs de la cour la large teinte dorée qu’y projetait le soleil, nous allions respirer sur les bords de la mer les premières bouffées de la brise naissante. Des voiles blanches apparaissaient au loin sur les flots ; nous suivions leur course avec intérêt, nous les voyions s’approcher et grandir avec curiosité, nous assistions à leur entrée dans le port, et nous écoutions le chant si original,