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à faire appeler le marquis de Rockingham. Trop bien instruit des inclinations et du caractère du roi pour se faire illusion sur les difficultés inséparables de la position qui lui était offerte, le marquis voulut d’abord la refuser ; les instances de ses amis, de Fox, de Burke, du duc de Richmond, surmontèrent sa résistance, et il accepta les fonctions de premier lord de la trésorerie, qu’il avait déjà occupées dix-sept ans auparavant. Lord Shelburne et Fox eurent les deux secrétaireries d’état ; lord Camden, le vieil ami de lord Chatham, devint président du conseil ; le duc de Grafton, lord du sceau privé ; lord Keppel, premier lord de l’amirauté ; lord John Cavendish, chancelier de l’échiquier, et le général Conway, commandant en chef de l’armée. Dunning, élevé à la pairie sous le titre de lord Ashburton, obtint la chancellerie du duché de Lancastre ; le duc de Richmond, la grande maîtrise de l’artillerie ; enfin, lord Thurlow, chancelier sous lord North, fut maintenu dans cette dignité. Instrument docile et astucieux de la volonté du roi, il semblait avoir pour mission d’en assurer le triomphe dans un cabinet dont les autres membres, appartenant en nombre égal aux deux partis coalisés, pouvaient arriver, en plus d’une occasion, à se neutraliser les uns par les autres.

On a vu rarement autant d’hommes éminens réunis dans un même ministère. Les emplois secondaires de l’administration, ceux qui, bien qu’importans encore, ne donnaient pas l’entrée du conseil, ne furent pas confiés à des personnages moins distingués. Le duc de Portland fut envoyé en Irlande comme vice-roi, et William Grenville l’y suivit en qualité de secrétaire du gouvernement. Sheridan fut nommé sous-secrétaire d’état. Burke enfin, l’illustre Burke, dut se contenter du poste de payeur-général de l’armée. Pour comprendre qu’on ne lui ait pas donné une des premières places du cabinet, il faut tenir compte de la haine profonde qui régnait depuis long-temps entre lui et lord Shelburne, et aussi de la puissance des idées aristocratiques qui alors élevaient encore une barrière, sinon insurmontable, du moins bien difficile à franchir, entre les hautes dignités de l’état et un homme sorti, sans fortune comme sans naissance, des rangs de la plus humble bourgeoisie.

Seul des membres principaux de l’ancienne opposition, Pitt ne fut pas compris dans l’administration nouvelle malgré la part éclatante qu’il avait eue à la victoire. On lui avait pourtant offert plusieurs emplois avantageux, entre autres le poste très lucratif de la vice-trésorerie d’Irlande, mais il avait décliné ces offres. Il était déjà décidé, dit-on, à n’accepter d’autres fonctions publiques que celles qui procu-