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plaise à Dieu que leur châtiment ne soit pas assez long-temps différé pour envelopper aussi une grande et innocente famille qui, bien qu’étrangère au crime, pourrait participer à l’expiation ! » De tels emportemens, si peu conformes à l’idée qu’on se fait habituellement du caractère de Pitt, s’expliquent par l’exaspération qui régnait dans presque tous les esprits. On sait que Fox s’oublia jusqu’à demander la tête de lord North, qui, toujours calme et placide, n’opposa qu’une spirituelle raillerie à cet excès de fureur.

Fox ayant proposé de frapper d’un blâme formel la direction des opérations navales pendant la campagne précédente, Pitt appuya cette motion, tout en déclarant qu’il eût préféré une adresse au roi pour demander le renvoi du premier lord de l’amirauté, lord Sandwich, l’auteur, suivant lui, de tous les revers qu’avaient éprouvés les escadres britanniques. La proposition ne fut écartée qu’à la majorité de. 22 voix. Reproduite quinze jours après dans une forme presque identique, elle échoua de même, mais à 21 voix de majorité seulement. Pitt, qui, cette fois encore, se fit l’auxiliaire de Fox, passa en revue avec une lucidité, une sagacité, un bonheur d’expression admirables, les évènemens de la dernière campagne, pour en tirer la preuve de l’incapacité profonde et des fautes inexcusables de l’administration. Ce discours fit un très grand effet. Un des coryphées de l’opposition, Dunning, exprima avec une exaltation singulière l’impression qu’il en avait reçue. « Le débordement de ce torrent d’éloquence est, dit-il, la manifestation du plus étonnant prodige qu’on ait jamais vu dans ce pays et peut-être dans aucun pays : la vigueur florissante de la jeunesse unie à l’expérience et à la sagesse consommée de la maturité. »

Le parti ministériel s’affaiblissait de jour en jour. Une proposition ayant été faite par le général Conway pour demander au roi la fin de la guerre, il ne s’en fallut que d’une voix qu’elle ne fût adoptée ; on put dire qu’elle l’était virtuellement. Aussi le général s’empressa-t-il de la renouveler en y changeant seulement quelques mots. Lord North, qui sentait que le terrain lui manquait, demanda l’ajournement, promettant que les ministres donneraient, pendant le délai qui leur serait accordé, des preuves non équivoques de leurs intentions pacifiques. Pitt s’y opposa. « Les ministres, dit-il, peuvent-ils citer une seule promesse qu’ils n’aient pas violée, un seul projet dans lequel ils n’aient pas varié ? Le parlement, dont ils n’ont cessé de se jouer, ne doit leur accorder aucune confiance. » L’ajournement fut, en effet, rejeté à dix-neuf voix de majorité ; l’adresse pacifique fut présentée au