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par la vigoureuse impulsion donnée à l’action du gouvernement que par une application habile et soutenue aux ressorts de cette action des inspirations sublimes et souvent hasardeuses parurent lui tenir lieu de calculs réguliers et profonds. Sa vie se compose de quelques manifestations éclatantes suivies de longues éclipses ; l’Angleterre, de son temps, ne fut rien que par lui, il sembla seul capable de remplir la scène, mais plus d’une fois il la laissa vide. Il n’en fut pas ainsi de Pitt. A peine sorti de l’enfance, la précoce supériorité de son esprit et un concours d’évènemens singuliers le placèrent à la tête du gouvernement. Il sut s’y maintenir presque sans interruption pendant vingt-cinq années, c’est-à-dire jusqu’à sa mort prématurée, et durant ce quart de siècle tout émana de lui, tout passa par ses mains. La politique étrangère, la législation intérieure, les finances, le commerce, l’organisation militaire, l’occupèrent successivement, et il se montra capable de tout.

Les conjonctures au milieu desquelles il se trouva jeté ressemblaient peu, d’ailleurs, à celles du temps où avait vécu son père, et lui imposaient une tâche bien différente. La guerre de sept ans, dont la conduite fit la gloire de lord Chatham, était une de ces guerres ordinaires qui ont uniquement pour but d’étendre le territoire, l’influence ou le commerce d’un état, sans que son existence y soit engagée. Pitt eut à défendre son pays contre un ennemi qui voulait en quelque sorte le faire disparaître du rang des puissances. Les luttes parlementaires de lord Chatham n’avaient guère pour objet que des rivalités de partis dégénérés en coteries égoïstes ; à l’exception des débats célèbres sur les affaires d’Amérique, auxquels il prit part dans ses derniers jours, il s’occupa peu des questions de principes. Ces questions, au contraire, ouvrirent un vaste champ à l’éloquence de Pitt, appelé à protéger l’ordre social contre les théories qu’invoquaient des factions effrénées pour renverser les vieilles institutions de l’Angleterre, et dans des temps plus calmes il prit l’initiative des grandes réformes que l’opinion réclamait dès cette époque, mais dont la réaction produite par les excès de la révolution française devait retarder l’accomplissement.

William Pitt, second fils de lord Chatham et d’une sœur des célèbres Grenville, naquit le 8 mai 1759, à l’époque la plus brillante de la vie de son père, au moment où, maître absolu de l’administration dont il venait d’arracher la direction suprême aux répugnances de George II, il faisait succéder aux revers qui avaient signalé le commencement de la guerre contre la France une suite non interrompue