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tion des annonces judiciaires, a pris un caractère politique. L’abus n’est point général, mais il est constaté par de fâcheux exemples. Or, l’invasion de la politique dans le sanctuaire de la justice est toujours un grand mal ; la magistrature ne doit pas être suspectée. Que deviendrait l’autorité des tribunaux, si on pouvait les croire dominés par l’esprit de parti ? La proposition de l’honorable M. Vivien avait donc un fondement sérieux. Le moment était-il venu de la discuter ? C’est autre chose ; nous concevons que beaucoup de consciences aient hésité. Les dangers de la loi du 2 juin 1841 sont évidens ; le mal existe, mais il n’a pas encore une notoriété assez répandue. Nous comprenons donc l’ajournement prononcé par un certain nombre de députés de l’opposition nouvelle, qui attendent sans doute, pour examiner plus mûrement la question, que les dangers de la loi de 1841 soient démontrés par une épreuve plus complète. Quoi qu’il en soit, l’honorable auteur de la proposition l’a défendue dans des termes que tout le monde a approuvés. Il n’est personne, dans la chambre ou ailleurs, qui n’ait rendu justice à la modération de ses sentimens et à la parfaite mesure de son langage. M. de Maleville a obtenu aussi un succès de tribune. En résumé, la proposition de M. Vivien n’a pas porté malheur à l’esprit du 1er mars, mais elle a procuré au ministère la douce surprise d’une majorité de 37 voix. Le ministère a dû trouver la compensation suffisante.

Cette majorité inattendue, constatée au moyen du vote public, a valu à l’opposition les railleries de quelques amis du ministère. On a dit que l’opposition avait été prise à son propre piége, qu’en substituant le vote public au vote secret elle avait détruit ses chances, et que M. Duvergier de Hauranne avait rendu la majorité au cabinet. La plaisanterie serait piquante, si elle était juste. Heureusement le vote public n’est pas si coupable qu’on nous le dit. Si les amis du ministère sont persuadés que la publicité du vote est favorable à la politique du 29 octobre, qu’ils tentent une épreuve décisive ; qu’ils proposent de voter publiquement l’indemnité Pritchard, et nous verrons. On se trompe du reste sur les motifs qui ont prévalu dans l’adoption du vote public. Sans doute il n’a pas été proposé dans un sentiment d’affection pour le ministère ; mais l’opposition ne l’a pas adopté comme un moyen de renversement. Tout calculé, le vote public doit être utile à la cause du pouvoir. Dans les questions politiques, il détruira les moyens factices du gouvernement, et par là, s’il nuit aux mauvais ministères, son appui n’en sera que plus précieux pour les cabinets bien inspirés, qui suivront une politique conforme au vœu du pays. Dans les questions d’affaires, où la politique tient le second rang, le vote public, loin d’être un moyen de renversement, sera presque toujours un moyen de fortifier l’autorité. En affaiblissant l’opposition systématique, en renouvelant fréquemment le concours des majorités nombreuses, il servira le pouvoir. Par là aussi, à la vérité, il servira momentanément la cause des mauvais ministères. Le vote sur les annonces judiciaires en est peut-être la preuve ; mais c’est un tort qui lui sera toujours facile à réparer.

Nous ne dirons qu’un mot de la proposition de M. Chapuys de Montlaville sur le timbre des journaux ; après une discussion confuse, son auteur