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Nous voudrions ne pas entrer dans de semblables détails ; mais il le faut bien. Ce sont là les évènemens du jour. Voilà ce qui fait dire à tous les gens sensés que le pouvoir s’en va. M. Cunin-Gridaine paraît de cet avis, s’il est vrai, comme on le dit, que sa démission n’ait pas encore été retirée. M. le ministre du commerce ne comprend pas que l’on puisse garder le pouvoir pour défendre les opinions que l’on ne partage pas, pour accepter les idées de ses adversaires, pour leur abandonner des convictions formées par l’examen des faits, dans un travail de plusieurs années avec des hommes spéciaux dont on estime la capacité et les lumières. Par les scrupules de l’honorable ministre, jugez de l’effet que doivent produire dans les bureaux de l’administration ces continuels démentis que le pouvoir se donne à lui-même depuis quelque temps. Les hommes capables qui préparent dans l’intérieur des ministères les projets de loi, et qui rassemblent les élémens d’après lesquels se forme la conviction des ministres, doivent trouver leur zèle singulièrement refroidi depuis qu’ils voient tomber l’un après l’autre, et sous le coup des ministres eux-mêmes, des projets qu’ils ont laborieusement enfantés. Voilà une belle récompense pour leurs efforts et un puissant encouragement à persévérer !

L’affaire du traité sarde est un nouvel exemple de la facilité avec laquelle le ministère abandonne ses opinions et la prérogative royale dès qu’il trouve quelque danger à les défendre. Le ministère a passé avec la Sardaigne un traité de commerce qui devait durer six ans. Les clauses imprudentes de ce traité, telles que l’entrée des bestiaux sardes à notre frontière et les concessions faites aux produits de la Sardaigne en Algérie, ont éveillé les craintes de la commission. Elle a voulu que la durée du traité fût limitée, et M, Guizot, d’accord avec le gouvernement sarde, a consenti à une réduction de deux ans, qui a été prononcée par la chambre. En vain M. le ministre des affaires étrangères, en s’assurant un succès facile contre un amendement de M. Maurat-Ballange, qui n’a été soutenu par personne, s’est efforcé de dissimuler ce nouvel échec de la prérogative royale ; l’échec a été évident pour tout le monde, et M. Barrot a déclaré qu’il voyait avec plaisir que le gouvernement reconnaissait à la chambre le droit de modifier les traités. Qui ne voit les dangers d’une pareille situation ? Si le parlement, encouragé par les concessions du pouvoir, use fréquemment du droit de modifier les transactions diplomatiques, que deviendront nos alliances ? Quel peuple, pour traiter avec nous, s’exposera aux chances d’un refus de sanction ? La faiblesse d’un ministère a-t-elle eu jamais de plus graves conséquences ?

Soyons justes néanmoins, le ministère a trouvé un jour heureux dans cette quinzaine : la série de ses revers a été interrompue par un succès. Il y aurait mauvaise grace de notre part à lui contester cette légère faveur du sort, dont il n’est pas disposé sans doute à abuser. La proposition de M. Vivien sur les annonces judiciaires a été repoussée par une majorité de 37 voix. De graves motifs étaient invoqués cependant à l’appui de cette proposition. Il est certain que la loi du 2 juin 1841 a été faussée dans son esprit. L’attribution donnée aux cours royales, en ce qui regarde le choix des journaux désignés pour l’insertion