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anglaise, réclamait une protection puissante. Le 2 juin 1842, une ordonnance du gouvernement repoussa les fils anglais en leur imposant un droit de 20 pour 100. Dans cette ordonnance étaient compris tous les fils étrangers. La Belgique réclama, et aussitôt, c’est-à-dire le 16 juillet, notre gouvernement, au nom de l’intérêt politique et de l’affection mutuelle qui lient les deux pays, passa avec la Belgique une convention. Il rétablit pour elle l’ancien tarif sur les fils et lins de provenance belge. En retour, la Belgique accorda des avantages à nos vins, à nos soieries, à nos sels. Il fut en outre convenu que le traité durerait quatre ans à partir de l’échange des ratifications, et qu’il pourrait se prolonger d’année en année jusqu’à ce qu’il fût dénoncé. Telles sont les principales clauses de l’acte diplomatique dont le ministère a demandé la sanction aux chambres.

On peut s’étonner d’abord que la discussion d’un pareil acte ait été si long-temps différée : retarder la discussion des ordonnances de douanes, c’est annuler le contrôle des chambres ; mais passons là-dessus. Considérons le traité en lui-même. Qu’a dû vouloir le gouvernement ? Deux choses : d’un côté, rendre à la Belgique, sur le marché français, la part que lui avaient enlevée la concurrence de l’Angleterre et l’ordonnance du 26 juin ; de l’autre côté, ouvrir pour la France, sur le marché belge, des débouchés d’une importance à peu près égale à ceux de la Belgique sur le marché français. Or, qu’est-il arrivé ? D’une part, les importations des fils belges ont triplé depuis trois ans, et leur concurrence aujourd’hui a remplacé chez nous la concurrence anglaise ; d’autre part, nos exportations de soieries, de vins, de fils, sont restées stationnaires. Tous les avantages commerciaux, dans le traité du 16 juillet, appartiennent donc à la Belgique. Ce n’est pas tout. À peine le traité de 1842 ratifié, que fait la Belgique ? Elle admet aux mêmes droits que les nôtres les vins et les soieries de l’Allemagne ; plus tard, en 1843, lorsqu’elle augmente ses tarifs sur les tissus de laine, elle n’excepte pas la France ; enfin elle conclut son traité de septembre 1844 avec le Zollverein. Tels sont les procédés de la Belgique envers nous, et telle est la latitude que lui a laissée l’imprévoyante diplomatie de notre gouvernement. Sans doute, la Belgique a droit à tous les ménagemens de la France : son existence est une conquête de notre révolution de 1830, et nous devons faire tous nos efforts pour conserver cette belle conquête, au prix même de quelques sacrifices ; mais pouvons-nous donner à la Belgique des avantages sans mesure, lui livrer une des principales branches de notre industrie, et n’attendre d’elle, en retour, que les témoignages de son ingratitude ? Est-ce un bon moyen de cimenter l’union des deux peuples que de créer entre leurs intérêts commerciaux des inégalités choquantes, source de jalousie et de discorde ? Dans la louable intention de resserrer les liens qui unissent les deux gouvernemens, fallait-il imaginer une situation dont les conséquences naturelles devaient être que tôt ou tard la Belgique nuirait à la France, et la France aurait à se plaindre de son alliée ?

Un traité si imprudent, si impolitique, devait nécessairement rencontrer une vive opposition dans la chambre. La commission s’était déjà prononcée ; elle avait exprimé l’espoir que la convention du 16 juillet ne serait pas renouvelée.