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anglaises ne seront qu’une barrière impuissante. Aussi le consul anglais à la Havane écrivait-il, en, 1839, à lord Palmerston : « Je n’hésite pas à dire que, tant que la prospérité croissante de cette île provoquera une demande d’esclaves, la traite continuera sur la même échelle et même s’accroîtra, à moins que l’Angleterre n’adopte des mesures beaucoup plus efficaces qu’autrefois pour y mettre un terme. » Ces mesures plus efficaces seraient-elles l’achat ou la conquête de Cuba, ou une insurrection d’esclaves provoquée et soutenue par des agens anglais ? On en a accusé l’Angleterre ; je ne sais si c’est à tort ou à raison. Quoi qu’il en soit, donnons une idée des profits que la traite procure à ceux qui s’y livrent.

Nous avons vu qu’à la fin du XVIIIe siècle, lorsque toutes les nations se faisaient concurrence à la côte d’Afrique, le prix d’un nègre variait sur la côte de 75 fr. à 375, et en Amérique, de 325 à 1,000 fr. Le prix d’achat variait donc entre un quart et un tiers du prix de vente, et en déduisant la perte d’un quart que l’on faisait sur le nombre des nègres, les frais d’équipement et l’entretien de l’équipage, on trouve que les profits du négrier devaient rarement dépasser 25 pour 100. Depuis, le prix des nègres a beaucoup diminué à la côte d’Afrique ; il ne dépasse jamais 100 francs par tête, et comme d’habitude le paiement se fait un tiers en argent, un tiers en eau-de-vie et un tiers en étoffes, et que les négriers gagnent beaucoup sur ces deux articles, il n’est souvent en réalité que de 60 à 75 francs. En Amérique, au contraire, les prix ont subi une augmentation énorme. En 1820, un nègre de traite coûtait 100 dollars à Cuba, 200 à Porto-Rico ; il se vend maintenant de 425 à 480 à Cuba, et 450 à Porto-Rico. Au Brésil, le nègre qui coûtait 100 milreis en 1820 coûte maintenant 400 milreis. Les prix ont quadruplé en vingt ans, et il suffit de voir que le nègre qui coûte 100 francs en Guinée peut se vendre 2,300 à Cuba pour comprendre quelle prime énorme est offerte à la coupable audace du négrier. Citons quelques exemples. La commission de la Havane condamna le négrier le Firmo ; la cargaison qui fut saisie avait coûté au capitaine 28,000 dollars ; l’approvisionnement de toute espèce, les munitions et l’armement du navire étaient estimés à 10,600 dollars, les gages de l’équipage et les menus frais à 13,400 ; les dépenses de l’expédition montaient donc en tout à 52,000 dollars ; la vente de la cargaison aurait produit 145,000 dollars, c’est-à-dire 180 pour 100 de bénéfice. Les commissaires de la Havane écrivaient en août 1838 : « On équipe en ce moment la Vénus pour un voyage à Mozambique ; elle est disposée pour embarquer 1,000 nègres, ce qui donnera aux armateurs, en cas de succès, un profit de 100,000 à