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qu’un homme dans son cercueil. La mortalité pendant la traversée était autrefois d’un quart ; depuis le droit de visite, elle varie entre un tiers et la moitié. En veut-on une dernière preuve : un négrier de Montevideo reçut des autorités une licence pour introduire des esclaves ; cette licence lui permettait d’en importer six cent cinquante, et d’en embarquer deux cent cinquante en sus, pour couvrir les décès pendant la traversée.

Ce n’est pas assez pour nous d’avoir montré que la traite subsiste avec la même étendue et avec plus d’horreurs qu’autrefois ; il faut expliquer sa persistance, et prouver que la traite est un mal indestructible. Il en est de la traite comme de toutes les contrebandes possibles : elle subsistera tant qu’elle donnera des profits suffisans pour tenter la cupidité humaine. C’est un fait accepté par tous les économistes qu’il est impossible de détruire la fraude chaque fois qu’elle peut donner un bénéfice de 30 pour 100 ; l’inutilité des lignes de douanes entretenues par les grandes puissances, l’insignifiance des captures relativement aux quantités et aux valeurs qui échappent à la surveillance, sont connues de tout le monde. Or, la fraude est encore plus facile par mer que par terre, car le nombre nécessairement restreint des croiseurs et les mille hasards de la vie maritime privent souvent de toute surveillance une étendue de côtes considérables, et la tempête, qui oblige le croiseur à prendre la haute mer, favorise le contrebandier, qui ne veut qu’échouer son petit navire à la côte. En outre, les bénéfices de la traite ne sont pas seulement de 30 pour 100, ils sont assez considérables pour faire braver bien des dangers : une expédition heureuse fait la fortune d’un homme. Les puissances qui veulent anéantir la traite par le droit de visite s’enferment elles-mêmes dans un cercle vicieux ; leurs efforts n’aboutissent qu’à rendre la traite plus lucrative, et qu’à lui donner par conséquent un attrait de plus. Doublez l’efficacité fort douteuse du droit de visite, aussitôt le prix des esclaves s’élèvera à Cuba et il s’abaissera à la côte d’Afrique dans la même proportion. Vous aurez doublé les profits du négrier, car ce qui fait son bénéfice, ce qui lui fait braver les croisières anglaises, c’est précisément cette différence énorme entre le prix d’achat et le prix de vente, différence que vos précautions ne font qu’accroître. Tant que les immenses plaines du Brésil ne seront pas peuplées, tant que la prospérité croissante de Cuba fera défricher de nouvelles terres et établir de nouvelles plantations, tant qu’il se trouvera un planteur espagnol ou brésilien qui manquera de bras et sera disposé à acheter des travailleurs à tout prix, il se trouvera un négrier pour qui les croisières