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à la côte voisine et y prenait son chargement. Depuis quelques années, on a encore multiplié les précautions : le navire nouvellement acheté, et qu’on appelle le tender, c’est-à-dire l’allége du négrier, porte à la côte d’Afrique les objets d’échange, et achète les nègres ; puis il retourne à la Havane ou à Rio, en ayant soin de toucher à Montevideo ou à quelqu’une des Antilles pour se procurer des papiers réguliers. Alors le négrier, qui a embarqué d’avance l’eau et les provisions nécessaires, part sur lest, arrive à l’endroit où il doit trouver les nègres, de grandes chaloupes sont toutes prêtes ; en deux heures, et quelquefois moins, les nègres sont à bord, et le négrier repart pour le Brésil avant la fin du même jour. On sent combien la rapidité merveilleuse de cette opération rend la surveillance des côtes difficile, et l’on ne s’étonnera plus si les croisières arrêtent tout au plus 1 négrier sur 30.

Comme nous l’avons déjà dit, les factoreries sont établies sur des rivières que les négriers remontent le plus loin possible, et les croiseurs, à leur tour, concentrent toute leur vigilance à l’embouchure des fleuves navigables ; mais comme ils ne peuvent y pénétrer, ils sont réduits à embusquer leur équipage sur des chaloupes aux coudes que font les rivières. Ces chaloupes ne suffisent pas toujours pour enlever les négriers, surtout ceux qui ont un équipage un peu nombreux. Un combat s’engage alors entre le négrier et les chaloupes, combat dans lequel le croiseur n’a pas toujours l’avantage. Si le négrier se voit serré de trop près, il remonte la rivière et va déposer sa cargaison. L’entreprise est manquée ; mais, pour éviter une confiscation, on fait disparaître tout ce qui tombe sous l’application de l’article sur l’équipement, et le négrier repart sur lest, ses papiers toujours en règle, et prêt pour la visite du vaisseau anglais. Il arrive quelquefois que les traitans à qui appartiennent les barracons achètent un ou deux vieux navires sans valeur. Lorsqu’un croiseur surveille de trop près la rivière d’où doit s’échapper le négrier, on fait sortir avant lui les deux bâtimens, qui prennent une direction opposée, se font donner la chasse par le croiseur et se laissent visiter par lui. Pendant qu’il perd ainsi du temps, le véritable négrier gagne la pleine mer, et, une fois au large, il défie la croisière anglaise à cause de l’extrême rapidité de son bâtiment ; il a bientôt gagné la côte du Brésil, et dès-lors il est en sûreté, car les traités interdisent le droit de visite aux Anglais dans les eaux brésiliennes. A Cuba, la station est faible relativement à l’étendue des côtes, et l’on sait combien il est difficile d’empêcher un navire d’aborder lorsque ses dimensions et le tirant d’eau qu’il demande lui permettent de choisir indifféremment pour débarquer tout point de