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près ; autrement on risque de paraître quelquefois incorrect, souvent négligé. Ces impropriétés de termes, ces légers embarras de diction, ce laisser-aller de la forme, étaient beaucoup plus sensibles dans le précédent recueil de M. Houssaye, les Sentiers perdus. Sous ce rapport, il y a progrès ; mais l’auteur ne saurait se dissimuler qu’il a encore à faire. S’il persiste assidûment dans ce difficile labeur de la forme, s’il se borne désormais aux thèmes gracieux qui lui conviennent, peut-être la poésie se penchera-t-elle sur lui avec un de ces sourires enviés qui sont une consécration.


Ce n’est point par la négligence que pèche l’auteur de la Couronne d’Ophélie[1] : M. Auguste Desplaces vise plutôt au contour qu’à la couleur ; il est amoureux de la ciselure, il évide ses strophes avec art, il songe à l’urne plus encore qu’à la liqueur. Lui-même explique, sur ce point, ses préférences :

Des ellipses je fais étude ;
Une phrase aux pans bien taillés
Tient mes esprits émerveillés
Au charme de son attitude.


Aussi est-ce à la miniature que visent surtout les légers crayons de M. Desplaces. L’ambition du poète ne va pas au-delà, il s’appelle lui-même un rimeur de peu d’haleine :

Mon domaine est un frais sentier,
Mes astres sont des étincelles.


Confiné modestement dans

Son enclos d’un arpent, tout peuplé d’arbres nains,


le poète émonde avec soin les branches parasites, et se complaît à tailler capricieusement, à arrondir en corbeilles, à courber de cent façons les flexibles tiges de ses arbustes. Le voilà qui varie son rhythme, découpe ses stances, rajeunit le gracieux vers de dix pieds ou brise habilement l’alexandrin ; sonnets et rondeaux, triolets et villanelles, les dizains musqués de la régence et les cadences savantes de Ronsard, tout cela est repris par lui et renouvelé curieusement. On s’en aperçoit vite, M. Desplaces a le sincère respect de l’art, et il ne permet à sa muse d’aller loin de lui que quand il a lissé toutes les tresses de ses cheveux, et coquettement drapé tous les plis de sa tunique.

L’auteur de la Couronne d’Ophélie ne mérite, sous ce rapport, que des éloges ; mais la question est de savoir si la matière ainsi travaillée valait toujours une pareille peine. Je crains que le burin d’un Cellini puisse seul donner un prix égal à l’airain et à l’or. M. Desplaces conviendra que les canevas choisis par lui sont quelquefois d’une transe frêle et presque imperceptible. C’est là l’inconvénient de ces raffinemens d’artiste épris de la forme : l’homme

  1. Un vol. in-18, chez Masgara.