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d’un simple escabeau sur l’Olympe serait selon lui un hommage à la fois trop mince et trop mythologique ; M. Vacquerie ne s’y risque pas, il fait tout bonnement asseoir M. Victor Hugo à côté de Dieu lui-même. Je ne plaisante pas ; ce puéril blasphème se trouve très gravement exprimé dès la dixième page du volume, à propos d’un ouvrage que l’illustre poète allait publier :

Il va sortir de vous un livre ce mois-ci…
Une nature encor dans votre tête est née,
Et le printemps aura son jumeau cette année !
Ici bas et là haut, vous serez deux Seigneurs.


et plus loin :

Vous faites votre livre et Dieu fait son printemps,
Et, parce duel d’églogue, imité des vieux temps,
Nous pourrons comparer un univers à l’autre.


On en conviendra, Dieu n’est pas trop maltraité ; M. Vacquerie condescend.à ne le pas mettre au-dessous de celui auquel on doit le Rhin et les Burgraves, au-dessous de ce nouveau créateur qui ne dit pas lui-même, mais qui fait quelquefois dire aux autres : fiat lux. Évidemment c’est une faveur. Les deux prétendans obtiennent la palme ex aequo, et M. Vacquerie, qui préside sans rire à cette répartition, proclame, dans le français qui lui est propre, l’égalité des mondes accomplis. Voilà l’idolâtrie burlesque, voilà la théodicée dualiste des fakirs du romantisme ! Vraiment cela est trop bouffon pour être impie. La tribune du Luxembourg risquerait-elle de devenir au premier jour un Mont-Thabor ? — Quant à M. Vacquerie, il a en échange été baptisé poète par M. Victor Hugo lui-même :

Vous disiez l’autre soir que je l’étais un peu.

Il est des fautes qui portent leur châtiment avec elles ; son admiration forcenée a joué à M. Vacquerie le mauvais tour de faire de lui un copiste malheureux. L’auteur des Demi-Teintes, saisissant à grand’peine et des deux mains la coupe du cyclope, l’a portée à ses lèvres, mais le breuvage était trop fort pour lui et l’a enivré. De là une reproduction chancelante des poses et des gestes du modèle : l’imitateur, voulant soulever l’épée du colosse, raidit en vain ses bras de pygmée et trébuche lourdement en la laissant choir. Le pastiche ici devient une parodie véritable. On le devine, M. Vacquerie n’est pas de ces hommes mis au monde pour

Passer sa vie à rêver sous un orme ;


il a une tout autre mission, il se sent

…Croître à l’ame
Toute une forêt de vers.


On ne discute pas les sensations ; seulement M. Vacquerie ne dit point si cette végétation respectable est analogue à celle qu’il appelle ailleurs

Les odes de granit et les strophes de chêne ;