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que saint Jérôme appelait prologi galeati, et où l’on entonne solennellement le chant de guerre en soufflant de tous ses poumons dans la trompe des métaphores. M. Vacquerie dédaigne ces moyens vulgaires, et entre de plain-pied chez son lecteur, sans se faire annoncer ; il y a des familiarités qui sont des faveurs.

Rien n’est plus perfide que les étiquettes ; M. Vacquerie nous parle de demi-teintes, et voilà qu’il trempe brutalement sa brosse dans l’ocre et dans le bleu de Prusse non délayés. C’est ce que les néo-romantiques appellent fondre les nuances et marier les couleurs : il n’est que de s’entendre sur les mots. Non, depuis Du Bartas, qui honorait le soleil du nom de grand-duc des chandelles (M. Vacquerie l’appelle aussi, et très sérieusement, la chandelle céleste, la chandelle divine), depuis les crudités du goulu Saint-Amant et les fanfaronnades poissardes de Dassoucy, personne n’a approché de ce style grotesquement enluminé : c’est le carnaval de la poésie. Les maladroites violences de M. Vacquerie embarrassent quelque peu, on le devine, cette seconde génération du romantisme que représentent M. Gautier et M. de Cassagnac, génération excentrique, mais distinguée, qui par l’esprit avait conquis, dans une voie mauvaise, le succès que M. Hugo, dans la même route, avait atteint par le génie. Aujourd’hui, l’auteur des Demi-Teintes vient, en véritable enfant perdu, démasquer les batteries de l’école et découvrir ses émules. Comme chez lui le talent ne rachète plus les fautes, ce qu’il y a de radicalement faux dans le procédé, dans la méthode même de la préface de Cromwell, se montre pour ainsi dire à nu. On n’est jamais trahi que par les siens. La seule importance du livre de M. Vacquerie est de mettre parfaitement en lumière ce point essentiel, à savoir que la théorie matérialiste du style romantique, dans son application usuelle et ordinaire, mène tout simplement à l’absurde. Sans doute (M. Hugo et M. Gautier en sont la preuve), on peut avec cela rencontrer par passades tantôt le génie, tantôt l’esprit mais, comme dirait M. Dupin, c’est quoique et non parce que. Il suffit d’ouvrir les Demi-Teintes pour s’en convaincre.

La pensée fixe de l’auteur, c’est la comparaison, c’est le mot pittoresque. Que l’idée toujours soit absente ou qu’elle avorte dans l’enveloppement indistinct des mots, que la langue cède et s’affaisse sous l’effort stérile de la plume, que la période incessamment s’obscurcisse en charade et tourne au grimoire, que les phrases défilent les unes après les autres, incohérentes et vides d’idées comme des armures de carton qui marcheraient seules, peu lui importe : le dessin n’est rien, la couleur est tout. Qu’est-ce que le beau, sinon de continuer une image jusqu’au bout, de la distendre impitoyablement, de la maintenir malgré le sens ? M. Vacquerie est le Siméon Stylite de la métaphore ; il se tient sur sa colonne autant qu’il veut ; on doit lui concéder ce, point ; sa gageure est gagnée, son idéal est atteint.

Ce qui paraît avoir avant tout égaré l’auteur des Demi-Teintes, c’est le. fétichisme littéraire On a fait quelquefois de certains poètes des demi-dieux ; mais ce culte-là ne suffit point à l’enthousiasme naïf de M. Vacquerie. L’offre