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« — Nous sommes des vivans ! suivez-nous à l’église,
« Et ces habits de deuil qui font votre surprise,
« Ces voiles tomberont ! vous entendrez nos chants !
« Ceux qui semblent des morts deviendront des vivans ! »

Et bientôt dans l’église, au branle de la cloche
Dont la voix grossissait toujours à leur approche,
Le cortège voilé vers l’autel s’avançait,
Et la peuplade entière autour d’eux se pressait ;
Et devant tous les Saints, devant toutes les Vierges,
Fumaient des encensoirs, étincelaient des cierges ;
Et l’ardent Te Deum en chœur était chanté ;
Puis, jetant son linceul, chaque ressuscité
Levait avec amour, levait au ciel sa tête
Sur laquelle roula le flot de la tempête ;
Et tous, pour attester l’appui venu du ciel,
Suspendaient leurs habits au-dessus de l’autel. –

Ô Lilèz, c’était vous ! c’était vous, jeune fille !
Quels pleurs et quelle joie un jour dans la famille,
Lorsqu’autour du foyer, vous direz, blanche Anna,
Comme Dieu vous perdit, comme Dieu vous sauva !
C’est qu’à l’heure où l’abîme entr’ouvrant ses entrailles
Devait vous engloutir, doux enfans de Cornouailles,
Quand, portés par les vents, ses féroces abois
S’en allaient retentir jusqu’au fond de vos bois ;
A cette heure où chacun au ciel se recommande,
Vos parens, à genoux près du grand feu de lande,
Et le cœur attendri par ce langage amer,
Se souvinrent de ceux qui voyageaient en mer !
A présent, poursuivez votre pèlerinage !
Allez par chaque bourg et par chaque village ;
Chacun à votre aspect se signera le front,
Et pour vous recevoir les portes s’ouvriront.
Allez donc ! achevez votre sainte entreprise,
De la fureur des flots sauvés comme Moïse
A vos nobles malheurs un barde s’inspira ;
Vœu sublime ! long-temps le monde en parlera !


A. Brizeux.