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prouve que l’expérience les avait rendus, sinon plus modérés, au moins plus prudens et plus circonspects. Ils avaient fini par comprendre que l’appui de l’opinion publique leur était indispensable contre leur redoutable ennemi, et que la sympathie des peuples ne pouvait être obtenue qu’au prix de quelques manifestations de désintéressement et d’équité. C’était déjà pour le fond, et en grande partie même dans les détails, le système de l’alliance de 1813. Après avoir fixé ainsi le but de la coalition contre la France, on s’occupa d’en régler les moyens d’exécution. On arrêta un vaste plan d’opérations militaires qui, embrassant à la fois l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, portait sur ce dernier pays le principal effort des alliés. Tout était calculé avec une extrême précision, comme s’il était possible, en présence d’un ennemi actif et habile, de combiner aussi exactement les élémens innombrables du terrible jeu de la guerre.

Pendant que les confédérés se livraient à ces préparatifs, qu’ils faisaient de nouveaux efforts pour arracher la Prusse à la neutralité, que le cabinet de Vienne essayait d’entraîner dans son action la Bavière, déjà secrètement engagée avec la France, et que les Russes s’ébranlaient pour aller au secours des Autrichiens, l’empereur des Français, par un coup soudain et hardi, déconcertait en un moment ces plans si savamment élaborés. Le camp de Boulogne était levé ; 120,000 hommes d’excellentes troupes passaient le Rhin presqu’à l’improviste ; une autre armée française partie du Hanovre se portait non moins rapidement, avec les Bavarois, sur les derrières des forces autrichiennes déjà engagées en Souabe. Quinze jours après l’ouverture de la campagne, les impériaux, complètement battus dans une suite de rencontres partielles et enfermés dans Ulm, sous les ordres du général Mack, mettaient bas les armes devant Napoléon au nombre de plus de 20,000 ; l’archiduc Ferdinand, qui s’était échappé avec les débris de l’armée, se trouvait impuissant à couvrir la capitale de l’empire, et le 13 novembre Vienne était occupé par les Français avant que les Russes n’eussent eu le temps d’arriver sur le théâtre des hostilités.

Le plan de campagne des alliés était entièrement renversé. Il s’en fallait de beaucoup, cependant, que le résultat de la guerre fût décidé. Les forces russes étaient encore intactes. La principale armée 7utrichienne, celle que l’archiduc Charles commandait en Italie contre Masséna, n’avait pas été sérieusement entamée et pouvait, en se repliant sur l’Allemagne, placer Napoléon dans une position difficile. La Prusse, d’autant plus inquiète des succès des Français qu’ils n’avaient