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sentimens en s’alliant à lord North, à un adversaire séparé de lui par des injures mortelles, il ne voulait pas s’exposer à une semblable accusation. Il n’eut donc ni avec lui ni avec les whigs aucune communication directe, il eut soin de ne se lier à son égard par aucun engagement, et tout en promettant, si jamais il était appelé à former un cabinet, de le désigner au roi parmi les hommes qu’il conviendrait d’y admettre, il déclara qu’il ne s’engageait pas à le faire accepter. C’était seulement par l’intermédiaire de Canning et de lord Leveson Granville, celui qu’on a vu depuis ambassadeur à Paris, qu’il communiquait avec son ancien rival. Lord Granville, moins circonspect, était à la fois en rapport avec Pitt et avec Fox, et formait en quelque sorte le nœud de cette confédération.

Le premier acte par lequel Pitt proclama la détermination qu’il avait prise de se mettre en guerre ouverte avec le ministère fut très significatif. Le 15 mars 1804, il proposa de prier le roi de faire communiquer à la chambre des communes un état détaillé du nombre des vaisseaux de guerre comparé à ce qu’il était en 1792, et des dispositions prises, tant par le précédent cabinet que par le cabinet alors existant, pour entretenir ou augmenter cette force. Il ne dissimula pas que le but de sa motion était de prouver la coupable négligence de l’amirauté et l’incapacité administrative de l’homme qui la dirigeait, de lord Saint-Vincent, incapacité égale à ses talens militaires. La motion fut soutenue par Fox et par plusieurs autres whigs. Cependant, fidèles à leur prédilection pour les opinions politiques de lord Saint-Vincent, qu’ils affectaient de séparer toujours des autres membres du cabinet, ils exprimèrent l’espérance de voir l’enquête tourner à son honneur. Addington se prononça contre une proposition qui ne lui paraissait propre qu’à faire perdre du temps sans aucun avantage, et il défendit le premier lord de l’amirauté contre les imputations dont il avait été l’objet. Tierney, Sheridan, avaient déjà répondu avec beaucoup de vivacité à l’argumentation de Pitt ; Sheridan, particulièrement, n’avait pas craint de le représenter comme obéissant aux inspirations d’une ambition factieuse. Le zèle ministériel dont Sheridan se montrait animé depuis quelque temps prêtait trop aux interprétations malveillantes pour qu’il n’y eût pas, de sa part, quelque imprudence à provoquer des représailles par de telles personnalités. Quelques plaisanteries mordantes que Pitt lui jeta au milieu d’une réplique pleine de faits et de calculs précis furent accueillies par les rires approbateurs d’une grande partie de la chambre. Néanmoins une majorité de 201 voix contre 130 refusa l’enquête demandée.