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sut jamais faire abstraction de ce qu’il appelait la dignité de son caractère. L’orgueil était sa seule faiblesse.

Au point où les choses en étaient venues, il n’y avait pour Addington d’autre alternative raisonnable et honorable que de se retirer purement et simplement pour faire place à Pitt ou d’accepter sous ses ordres, en lui remettant la direction du cabinet, les fonctions qu’il voudrait lui confier. Pour se résigner à un tel sacrifice, il eût fallu un degré de dévouement au bien public, une abnégation d’amour-propre qui sont peut-être au-dessus des forces humaines. Addington, que son honnêteté et son bon sens ne mettaient pas à l’abri d’une certaine vanité, ne sut pas s’élever à un effort aussi héroïque. Ne pouvant se faire absolument illusion sur les nécessités de la situation, il essaya de transiger avec ces nécessités ; il conçut la pensée d’une réorganisation du ministère dans laquelle Pitt aurait figuré comme secrétaire d’état et aurait fait entrer avec lui un de ses amis. Addington lui-même, abandonnant à quelque grand seigneur le titre de premier lord de la trésorerie, eût pris, comme Pitt, une secrétairerie d’état ; le reste du conseil aurait été conservé, en sorte que Pitt s’y serait trouvé presque isolé, ou du moins dans un état de minorité calculé pour l’empêcher de reconquérir son ancien ascendant. Lord Melville (Dundas), que son impatience de rentrer au pouvoir sembla priver, en cette circonstance, de sa sagacité ordinaire, se chargea de porter cette singulière proposition à Pitt, qui la rejeta avec le dédain qu’elle méritait, déclarant qu’à tous égards elle était trop peu admissible pour qu’il pût y avoir lieu à la discuter. Addington, ramené à des idées un peu plus sensées par ce sévère avertissement, lui fit alors offrir de lui rendre son ancienne place dans le ministère, où auraient été admis aussi plusieurs de ses adhérens. Enfin, ne recevant point de réponse à cette nouvelle communication, il lui demanda une entrevue pour conférer verbalement avec lui. Ils se rencontrèrent en effet dans la maison de campagne d’un ami commun. Dans les entretiens qu’ils eurent ensemble pendant plusieurs jours consécutifs, Pitt, après avoir posé en principe qu’il ne considérerait comme sérieuses d’autres propositions que celles qui lui seraient faites de la part du roi, consentit pourtant à entrer en explication sur ce qu’il pourrait éventuellement accepter. Une difficulté grave s’éleva aussitôt. Addington ayant demandé que lord Grenville, lord Spencer et Windham, qui s’étaient déclarés les adversaires les plus vifs de sa politique, ne fassent pas admis dans la nouvelle administration, Pitt répondit qu’il lui était impossible de se séparer d’eux. Addington repartit pour