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« Puis, tu clouas le cercueil de ton propre cœur. Poète, je te compare à cet arbre qui fleurit quand l’orage lui arrache ses feuilles !

« Oui, tu fus pour toi-même un juge inflexible ; tu réduisis ton cœur en cendres, et dans ces cendres tu cherchas les étincelles de ta poésie.

« Voilà ce que tu as fait, le monde doit le reconnaître ; tu as chassé violemment l’ange de la paix, afin de courir, ô fantôme lugubre, dans les ombres de la nuit.


Le fervent disciple de Louis Boerne eût été plus sévère sans doute, si ces vers eussent été composés deux ans plus tard, après que M. Henri Heine eut écrit sur son noble rival le livre cruel que ses amis regretteront toujours avec larmes. C’était assez cependant pour indiquer d’une façon très nette les sympathies de l’auteur ; M. Beck accordait au poète du Livre des Chants quelques strophes brillantes où le reproche et la plainte s’unissaient avec grace, et il s’enthousiasmait pour Louis Boerne au point d’idéaliser les traits de son maître dans ce tableau de fantaisie que nous venons de juger. Nous avons blâmé cette transfiguration démesurée, cette perspective impossible, et le mystérieux cadre où M. Beck a placé sa chimère. C’était l’erreur d’une imagination jeune qui n’a pas appris à se contenir et qui ne sait pas encore reproduire, avec un idéal sobre et vrai, l’exacte image de la réalité. Dans la récente édition de ses poésies complètes, M. Beck a supprimé presque entièrement les deux chants dont nous avons signalé les fautes. Les divisions par trop singulières, les titres bizarres, les étiquettes prétentieuses, ont disparu ; plus de légendes, de contes, de nuits mystérieuses ; il reste une série de pièces éloquentes sur Louis Boerne, celles que nous citions plus haut, celles que nous admirions en faisant seulement quelques faibles réserves, et elles se terminent avec bonheur par de très belles strophes sur la mort du généreux publiciste.

L’année même où avait paru le poème des Nuits, en 1838, M. Charles Beck publiait un recueil nouveau qui attestait un progrès rapide, un talent plus mûr, plus ferme et débarrassé déjà des premières hésitations du début. Le Poète voyageur, Der fahrende Poet, voilà le titre de ce volume. C’est en Allemagne que le pèlerin suit les pas de sa muse. Ce pèlerin est plein de foi et d’ardeur. Nous ne recommencerons pas, soyez-en sûrs, le voyage moqueur de celui qui raillait hier tous les souvenirs de sa patrie, et qui, du Rhin jusqu’à Hambourg, dans la cathédrale de Cologne, dans la forêt de Teutobourg, au pied du mont Kyffhaeuser, ne songeait qu’à irriter par d’impitoyables sarcasmes le paisible tempérament des nations germaniques. Ce ne sera