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ne pas signaler. Où est le Béranger de l’Allemagne, où sont les vrais poètes, où sont les prophètes légitimes de la pensée publique ? On les attend, je le sais, et, sauf quelques strophes éloquentes, sauf quelques compositions vraiment belles, il ne paraît pas que tout ce bruit des jeunes Tyrtées de la démocratie ait été jusqu’ici bien fécond. Encore une fois, ce n’est pas une raison pour refuser de les entendre, puisqu’on les écoute si avidement au-delà du Rhin. Si ce n’est pas toujours une étude poétique qui nous est offerte, ce sont au moins de curieux documens sur l’état des esprits en Allemagne ; cet intérêt est assez considérable et peut aisément nous suffire.

Or, ces symptômes deviennent de jour en jour plus éclatans ; la bruyante cohorte se recrute sans cesse, dans tous les rangs de l’assemblée littéraire, dans toutes les provinces de l’Allemagne. Quelquefois c’est un poète attaché à des doctrines bien différentes, qui tout à coup, cédant à l’entraînement universel, change brusquement de drapeau, abandonne la place qu’il défendait, et se jette avec ses armes dans le camp des assiégeans. Le lendemain, et ce fait n’est pas moins bizarre, c’est un écrivain libéral, ardemment dévoué aux idées nouvelles, mais peu disposé pourtant par les allures mystiques de son imagination à s’enrôler, pour une guerre de partisans, dans une armée de tirailleurs ; or, le mouvement de la foule l’emporte aussi, et le voilà qui inscrit sur le recueil de ses poétiques méditations la belliqueuse devise que chacun veut absolument porter. Nous parlions hier de M. Freiligrath, nous signalions l’éclat inattendu de sa conversion politique. L’écrivain que nous allons nommer n’avait pas besoin, comme l’auteur du Loewenritt, de se faire pardonner l’insouciance de sa muse, l’indifférence de ses premiers chants, le matérialisme outré de ses brillantes fantaisies. C’était un poète ardent, ému, un rêveur enthousiaste de liberté ; il pouvait suivre franchement son inspiration naturelle, il n’avait pas à craindre les reproches de ses confrères, ses sympathies n’étaient pas douteuses ; il lui était permis de ne pas engager l’indépendance de sa muse et de marcher avec grace dans les voies où l’appelle son talent. Eh bien ! non ; il cédera aussi, il accordera ce gage qui lui est demandé, il voudra qu’on cite son nom à côté du nom de M. Herwegh ou de M. Freiligrath.

Je ne prétends pas dire qu’il y ait beaucoup de politique dans le recueil de M. Charles Beck. Non sans doute ; ce qui est singulier, c’est précisément l’ostentation avec laquelle il la produit, si peu importante qu’elle soit ; c’est le désir impatient qu’il manifeste d’être enrôlé dans la turbulente milice, quand il lui était si facile de demeurer dans des