Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1095
VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

plusieurs jours, sur les pentes des montagnes du Kurdistan. Un grand nombre de ces malheureux allèrent à Mossoul implorer la compassion de leurs frères en Jésus-Christ, pour l’amour de qui ils avaient tant souffert ; ils vinrent frapper à la porte des consuls européens, représentans de la France et de l’Angleterre. Le premier, M. Botta, qui avait intéressé le gouvernement français à la triste situation dans laquelle se trouvaient ces pauvres chrétiens, avait obtenu de M. le ministre des affaires étrangères une aumône digne du pays qui, dans tous les temps, a tendu la main aux grandes infortunes. M. Guizot, en accordant à ces malheureux un secours efficace, se montra fidèle à un usage traditionnel pour notre politique en Orient.

Lorsque j’arrivai à Mossoul, j’y trouvai donc les débris des familles nestoriennes pleurant leurs misères et la perte de leurs plus braves enfans. Les aumônes suffisaient à peine à leur existence, et tous, pâtres et laboureurs, ne trouvaient pas à employer leurs bras dans une ville peuplée de marchands et de soldats. Résignés, sans être ébranlés dans leur foi, malgré les douleurs dont Dieu avait permis qu’ils fussent accablés, ils attendaient qu’il plût à la Sublime Porte de décider de leur sort. Leur rendre justice et châtier leurs ennemis eût été contraire aux principes du Koran, et d’ailleurs leurs féroces adversaires s’étaient toujours rendus assez redoutables aux pachas pour que le gouvernement turc n’osât pas leur demander compte d’une agression injuste, ni même de massacres qui révoltaient l’humanité. Réduits à gémir, les Tiaris attendaient, sans prévoir quelle fin auraient leurs maux, quand le besoin où nous étions de bras laborieux nous fit songer à eux. Robustes, aussi sobres que dociles, ces montagnards nous promettaient une pépinière d’ouvriers infatigables. Nous en prîmes un grand nombre, et soulageâmes d’autant leurs familles qui eurent ainsi de plus grosses parts dans les charités que leur faisaient les consuls et les Mossoulis. — Ces hommes, descendans des anciens Chaldéens, dont ils parlent la langue, qui avaient bâti Ninive et l’avaient vue s’abîmer dans sa cendre, allaient donc, après 2500 ans, en exhumer les vestiges calcinés, et rendre à la science et à l’infatigable curiosité de notre époque les produits d’un art ignoré, que la barbarie des peuples du nord, alliée à la jalousie haineuse de ceux du midi de la Mésopotamie, avait voulu faire disparaître et avait enfouis jusqu’à ce jour.

Nonobstant ce renfort qui portait le nombre des travailleurs à 200, la profondeur des tranchées, la dureté du sol, nécessitèrent un tra-