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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

dote. Il fallait qu’à côté des précieux débris de Thèbes, de Karnak et de Denderah, on vît se placer à Paris les étonnans bas-reliefs de Ninive.

Ce ne fut pas sans quelques difficultés que ces firmans furent délivrés par Porte sur les vives instances de notre ambassadeur, M. le baron de Bourqueney. Superstitieux et jaloux de ce que recèle la terre, les Turcs veulent toujours voir des trésors cachés sous les monceaux de ruines qui couvrent leur pays. Trop ignorans pour comprendre l’intérêt que la science apporte à tout ce qui rappelle des peuples éteints et un art primitif, ils ne peuvent imaginer qu’il y ait pour les recherches des antiquaires un autre mobile qu’un vil amour de l’or ; car s’il est un pays où l’or résume tout, c’est bien la Turquie. Néanmoins, grace aux soins et à l’appui de notre ambassadeur, la Porte accorda tous les firmans nécessaires, et les travaux purent être repris et continués sans que le pacha ou les habitans y aient jamais opposé la moindre résistance.

Nous avons dit que le lieu où M. Botta a fait son intéressante découverte et commencé les fouilles est un village appelé Khorsabad, à quatre heures[1] environ de Mossoul, situé sur la rive gauche du Tigre, mais à une assez grande distance du fleuve, et placé sur un monticule factice qui s’élève de 15 à 18 mètres au-dessus de la plaine immense bornée au nord et à l’est par les montagnes du Kurdistan, au midi et à l’occident par les sables brûlans du désert. Ce village se composait de cinquante à soixante maisons qu’occupaient environ cent cinquante habitans, dont l’expropriation était devenue indispensable. Cette expropriation pouvait s’obtenir d’autant plus facilement, que, depuis long-temps, les villageois désiraient descendre dans la plaine, et aller s’établir auprès d’une petite rivière pour éviter à leurs femmes le transport de l’eau, que la distance et la pente du monticule leur rendaient fatigant. En Orient, tous les travaux du ménage, sans exception, sont abandonnés à la femme, et quelque pénible qu’un de ces soins puisse être, un musulman ne le lui évite jamais ; il dérogerait à son rang comme chef de la famille, et croirait manquer à sa barbe.

Il ne fut donc pas difficile de faire consentir les habitans à quitter leurs maisons, pas plus qu’il ne le fut de s’entendre sur l’indemnité à leur payer pour leur déplacement, ou sur celle qui était légitimement due aux propriétaires du terrain. Dans l’empire ottoman, le sol appartient à l’état, c’est-à-dire au sultan. Il est concédé aux villages et

  1. L’heure est calculée sur le pas d’un mulet chargé.