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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

résignait moins facilement à la perte des grands monumens inconnus de Babylone et de Ninive : qu’étaient devenus les ouvrages de Nemrod et de Ninus ? Les admirables travaux de Sémiramis et de Nitocris étaient-ils perdus sans espoir ? Les pagodes, les idoles de l’Inde s’étaient conservées ; la sculpture des Perses, celle des Égyptiens nous étaient connues ; mais entre la Perse et l’Égypte il y avait de vastes contrées jadis peuplées, jadis florissantes, où de puissans empires avaient eu une longue durée. Il y avait eu là de grands centres d’une civilisation primitive, où d’ambitieux monarques avaient étalé leurs trophées sur les murs de palais somptueux ; et un bruit vague, arrivé jusqu’à notre âge, disait qu’ils y avaient fait sculpter leurs triomphes. L’art avait donc été en honneur chez ces nations ; il y avait eu une sculpture assyrienne ou babylonienne, et cette sculpture avait disparu ! Quel vide à combler dans l’histoire de l’art ! aussi l’archéologue en gémissait, il continuait ses investigations, interrogeant encore sous sa tente le Bédouin de l’Euphrate, pour apprendre quelque chose de Babylone, et demandant au Kurde du Tigre ce qu’il savait de Ninive. Il lui semblait que Dieu avait assez appesanti son bras vengeur sur ces villes. Les peuples qu’il avait maudits étaient morts ; les nations proscrites avaient disparu ; sa force avait assez fait justice de leurs crimes ; le jour n’était-il pas venu de laisser voir aux générations nouvelles les traces imposantes d’un châtiment sévère et mérité ?

C’était aux bords du Tigre, c’était dans le voisinage de Mossoul que devait être révélé ce grand et impénétrable mystère de l’art assyrien. En face de cette ville, assise sur la rive droite du fleuve, s’élèvent sur deux monticules assez étendus, auxquels se relient les extrémités d’une vaste enceinte, évidemment les restes d’un rempart très épais et encore très élevé. De ces deux éminences, l’une est factice, c’est-à-dire qu’elle porte partout la trace de constructions que prouve d’auteurs sa forme assez régulière. L’autre, qui est naturelle et rocailleuse, laisse également apercevoir çà et là des vestiges de maçonneries antiques, au-dessous des maisons d’un village arabe qui porte encore le nom de Neïnivèh, ou Nebi-Ounous (tombeau de Jonas), à cause d’une pierre ornée de caractères que les musulmans conservent religieusement dans une petite mosquée attenante au village. Le fanatisme des habitans ne permet pas de voir cette relique, qu’ils disent être la pierre sépulcrale du prophète ; et l’on ne peut vérifier si du moins elle porte des caractères assyriens. Il faut s’en rapporter au dire des gens du pays, et croire. C’est donc en ce lieu que mourut le prophète ; c’est là qu’assis à l’ombre du lierre que Dieu fit croître