Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1083

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préoccupée du dedans plus que du dehors, laisse aux autres les vues lointaines, les nobles projets, pour se vouer à la plus étroite, à la plus égoïste des pensées. Une telle politique, si elle pouvait s’établir définitivement, perdrait, j’en suis convaincu, la France après lui avoir enlevé sa considération dans le monde.

Quoi qu’il en soit, je le répète, c’est une entreprise puérile que de vouloir rétablir l’alliance anglaise, sans que cette alliance se trouve amenée, motivée, scellée par un intérêt commun et par une action commune. Jusqu’à ce que cet intérêt se montre, jusqu’à ce que cette action se réalise, les deux pays pourront vivre en paix ; mais ce sera une paix telle que M. Guizot la décrivait l’an dernier, une paix factice, incertaine, pleine de méfiances et de jalousies réciproques, une paix, par conséquent, à la merci du plus petit incident. J’ajoute que cette paix aura d’autant moins de chances d’être durable, que de plus durs sacrifices lui seront faits par ceux qui gouvernent la France.

Je ne terminerai point cet article sans une observation sur laquelle j’appelle toute l’attention de ceux qui, des deux côtés de la Manche, espèrent encore l’union sincère, l’union cordiale et féconde des deux peuples. On se plaint souvent à Londres, et ce qui est plus étrange à Paris, de ce qu’on nomme le langage violent, amer, insultant, de la tribune et de la presse française. Qu’après avoir entendu les plus vifs discours de l’opposition en France, on veuille bien écouter ceux qui se prononcent à la chambre des communes ou à la chambre des lords ; qu’après avoir lu nos journaux et nos revues, on prenne la peine de parcourir les journaux et les revues d’Angleterre, et je défie qu’on ne soit pas frappé du contraste ; je défie qu’on ne reconnaisse pas immédiatement qu’il y a du côté de la France cent fois plus de convenance et de modération. A-t-on jamais vu en France, je ne dis pas un des ministres actuels, mais un ministre quelconque, s’exprimer sur un différend international comme s’est exprimé sir Robert Peel au début de l’affaire de Taïti ? A-t-on jamais vu un député, même de l’opposition avancée, injurier personnellement un ministre anglais ou russe comme M. Cochrane, membre tory des communes, a injurié M. Piscatory, sans que le chef du cabinet y trouvât à redire ? A-t-on jamais vu l’orateur le plus excentrique traiter une fraction du parlement britannique comme lord Brougham traitait l’an dernier tous ceux qui, dans les chambres françaises, ne partageaient pas son enthousiasme pour M. Guizot ? Si, du parlement, on passe aux journaux et aux revues, c’est bien autre chose : whigs, tories, radicaux même, tous répètent tous les jours, sur tous les tons, qu’en Frange il serait injuste