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On ne discute plus théoriquement, idéalement en quelque sorte, la question de savoir quelle est pour la France, dans tous les cas possibles, la meilleure des alliances, si c’est l’alliance russe, l’alliance allemande ou l’alliance anglaise ; mais on se demande quel est aujourd’hui, quel sera dans un prochain avenir, l’état vrai de nos rapports avec l’Europe, et notamment avec l’Angleterre. On se demande si ces rapports peuvent être sensiblement altérés, d’une part par telle ou telle crise européenne, de l’autre par le triomphe de telle ou telle opinion, de tel ou tel parti dans l’un ou l’autre des deux pays. On se demande enfin quelle ligne il convient de suivre, quelle conduite il est bon de tenir pour ne rien compromettre et pour être prêt à tout évènement. Ce sont ces divers côtés du problème que je crois utile d’examiner avec impartialité, avec modération, sans passion comme sans préjugé.

Pour bien comprendre l’état actuel de nos relations avec l’Angleterre, il faut se reporter à ce qu’elles étaient il y a quatre ans, et suivre les phases diverses par lesquelles elles ont passé. En 1841, avant le fameux traité des détroits, l’Angleterre et la France vivaient dans un état de demi-hostilité, et c’est alors que M. le ministre des affaires étrangères, à qui les formules générales ne manquent jamais, proclamait fièrement à la tribune l’isolement et la paix armée. Lorsque le traité des détroits eut reçu les cinq signatures de l’Angleterre, de la France, de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse, le cabinet français regarda la crise de 1840 comme terminée, et n’hésita pas à rentrer avec le cabinet anglais dans les rapports les plus confians. Averti par certaines manifestations de l’opinion publique, il se garda pourtant de dire toute sa pensée ; une nouvelle formule, celle de l’indépendance au sein de la bonne intelligence, remplaça donc la première, et M. le ministre des affaires étrangères encore expliqua fort doctement comme quoi cette formule correspondait de la manière la plus exacte à la situation, non pas transitoire, mais régulière, normale, permanente, de la France au milieu des puissances européennes. En 1843, malgré l’échec du traité de visite, le langage officiel subit une troisième modification, et M. le ministre hasarda l’accord sans intimité. En 1844 enfin, au moment où l’on devait le moins s’y attendre, toute réserve disparut, et l’entente cordiale fit son entrée dans le monde avec pompe et fracas. C’était sous une autre forme l’alliance intime des premières années de la révolution. C’était même plus, si l’on en croit M. Guizot, puisque pour la première fois il y avait entre les deux peuples une union sincère, cordiale, dégagée de toute arrière-pensée et de toute jalousie.