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de soumission de la part de toutes les peuplades, dont quelques-unes sont agricoles, et qui d’ailleurs sont toutes ennemies entre elles. Dans cette reconnaissance, les deux corvettes ont trouvé un port magnifique, dont nos marins se montrent ravis. Il n’est pas certain que les nouvelles apportées à Manille par la Victorieuse n’aient pas engagé l’amiral à modifier ses plans, à moins toutefois que la prise de possession ne soit décidée, ce qui est peu probable ; car, s’il s’agissait d’occuper une île comme Basilan, les différens travaux que nécessiterait une opération de cette nature ne permettraient pas à l’amiral d’aller à Batavia, où il se rend avec M. et Mme de Lagrenée sur la frégate la Cléopâtre.


— On annonce une publication qui doit répandre une vive lumière sur une des époques les plus curieuses de notre histoire contemporaine. C’est la Correspondance de Louis XVIII avec M. le comte de Saint-Priest pendant l’émigration, précédée d’une notice par M. de Barante[1]. Parmi les documens que nous possédions déjà sur l’émigration, celui-ci ne sera pas à coup sûr un des moins précieux. En racontant la carrière diplomatique si honorable et si bien remplie de M. le comte de Saint-Priest, M. de Barante a écrit la meilleure introduction qu’on pût placer en tête de ces lettres. Il a été plus qu’un biographe, il s’est retrouvé historien. M. de Saint-Priest, comme diplomate et comme ministre, appartient en effet par plus d’un côté à l’histoire. En le suivant tour à tour à Versailles, au milieu des intrigues de cour, et à Constantinople, où il maintenait par sa digne et ferme attitude les belles traditions de notre diplomatie, M. de Barante a pu étudier sous des aspects bien divers et peu connus la situation de la France et de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle. Il a encadré dans une biographie un chapitre d’histoire politique où se retrouvent toute l’élégance de sa plume et toute l’élévation de son esprit.


— Les latinistes ont beaucoup abusé du nom d’Horace, et les œuvres du charmant poète sont, malheureusement devenues un lieu commun pour le pédantisme des annotateurs. Dans la foule pourtant des récensions d’Horace qui ont été publiées depuis vingt ans, le très savant et très spirituel travail d’un célèbre professeur de Zurich, M. Gaspar Orelli, a été tout d’abord remarqué par les amis des lettres anciennes, par tous ceux qui goûtent encore l’érudition qui sert à quelque chose, l’érudition fine et choisie, telle que l’ont pratiquée les Weichert et les Boissonade. Vivement recherché dès son apparition, l’Horace de M. Orelli vient d’obtenir l’honneur si rare d’être réimprimé par l’éditeur lui-même[2]. Nous ne nous étonnons pas que la France érudite accueille avec une bienveillance particulière les travaux si sagaces et si distingués de M. Orelli ; M. Orelli a l’esprit français, il ne prend que la fleur des choses. Son aimable édition d'Horace dispense de ces lourds commentaires des Fea et des Braunhard qu’on achète plutôt qu’on ne les lit : ce sera désormais un livre classique, comme l’est depuis long-temps le Cicéron du savant suisse.


V. de Mars.
  1. Chez Amyot, rue de la Paix.
  2. Deux volumes in-8. Chez Brockaus et Avenarius.