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1er novembre, par l’évènement déplorable sur lequel je vais vous donner quelques détails. Il paraît que ce jour-là, malgré l’excessive défiance témoignée par les habitans de l’île, le commandant devait avoir une entrevue avec le chef du village près duquel on était mouillé dans la baie de Maloza. Il était donc dans son canot, bien armé, avec le docteur Mallat, et dirigeait quelques études sur les localités en attendant l’entrevue, lorsqu’un jeune officier, appelé M. de Maynard, obtint de lui la permission d’entrer dans la rivière, avec une de ces petites embarcation qu’on désigne sous le nom de youyou dans notre marine, montée par cinq hommes en tout, y compris l’officier lui-même. Ce jeune homme avait l’ordre d’agir avec la plus grande prudence ; mais on croit que l’ignorance du langage et des préjugés de ces peuples, naturellement défians et féroces, lui fit commettre quelques légèretés, qui amenèrent une rixe. Cela se passait dans la rivière, hors de la vue du grand canot. On a su depuis qu’ayant pris à son bord un des chefs malais, M. de Maynard avait joué avec ses armes, et avait voulu le mener à son commandant ; alors les Malais l’avaient poignardé, et avec lui un matelot qui avait voulu le défendre, emmenant prisonniers les trois autres, parmi lesquels se trouvait un jeune Hollandais de Batavia, engagé à Macao par le docteur, comme sachant le malais et pouvant le lui apprendre. Il paraît que cette catastrophe fut inconnue à bord pendant quelques jours ; on supposa seulement que les cinq personnes qui montaient la petite embarcation avaient été retenues prisonnières, et comme il eût été fort difficile et peut-être, dangereux d’entreprendre une expédition militaire pour se faire restituer les captifs et tirer vengeance de cet attentat, le commandant Guérin prit le parti de se rendre à Zanboanga, chef-lieu des établissemens espagnols dans l’île voisine de Mindanao, afin d’engager le gouverneur espagnol, qui est en relations avec toutes ces peuplades, à négocier le rachat des captifs. On l’a obtenu en effet pour l’énorme somme de trois mille piastres ; mais au lieu de cinq hommes, il n’en est revenu que trois, et c’est par eux, ou peut-être avant, qu’on a appris la mort de l’officier et du matelot. Dans l’intervalle, la Victorieuse est arrivée aussi dans la même baie de Maloza, où l’évènement s’était passé ; n’y trouvant pas la Sabine, et alarmée, ou par des rumeurs fâcheuses, ou par l’attitude des habitans, elle partit à son tour pour Zanboanga. Je crois même qu’une expédition de reconnaissance ayant été tentée dans la rivière, dont la barre est très peu profonde à marée basse, les embarcations y coururent des dangers qui hâtèrent le départ du bâtiment.

« Je ne dois pas oublier de vous dire qu’avant de quitter Basilan, la Sabine avait laissé, sur un îlot que les pirogues des indigènes visitaient souvent, un écrit en malais, portant qu’on viendrait bientôt tirer une vengeance terrible des mauvais traitemens qu’on ferait éprouver aux prisonniers. On assure qu’il fut déposé en même temps sur l’îlot un autre écrit, signé Mallat, annonçant la prise de possession de Basilan au nom de S. M. le roi des Français.

« Quand les prisonniers eurent été rendus, et les deux corvettes réunies à Zanboanga, le commandant Guérin résolut de retourner à Basilan, et, le