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l’expédition est ajournée, puis abandonnée, ce qui accroît la confiance des barbares, en leur donnant l’idée que la France n’a pas le pouvoir de réaliser ses menaces. Enfin, le 18 mars, la convention de Lalla-Maghrnia est conclue. On l’annonce comme un résultat glorieux pour la France : c’est une victoire de notre diplomatie, et l’on met vingt-deux jours à la ratifier ! Pendant ce temps, Abderrhaman écoute des suggestions contraires à nos intérêts, et, quand notre signature lui est envoyée, il la repousse. Le ministère nous dira un jour par quel motif la signature du roi des Français a été exposée à un pareil affront. Notre dignité ne voulait-elle pas qu’on attendît la ratification de l’empereur avant d’envoyer celle de la France ? L’Espagne, tout récemment, n’a voulu mettre sa signature au bas d’un traité qu’après avoir obtenu celle du Maroc. Mais enfin, puisqu’on était décidé à faire, coûte que coûte, ce premier pas, pourquoi n’a-t-on pas été plus vite ? Nos négociateurs disaient qu’il fallait se presser, que des complications pouvaient surgir, que des intérêts rivaux pouvaient se jeter à la traverse : pourquoi ne les a-t-on pas écoutés ? L’année dernière, lors du voyage à Windsor, on s’est hâté de conclure la paix et de rappeler notre escadre : il y a un mois, lorsqu’il s’agissait de recueillir les fruits de la guerre, pourquoi a-t-on mis tant de lenteur ? D’où venaient les difficultés ? Faut-il croire que le cabinet, bien inspiré d’abord, a voulu attendre la ratification de l’empereur, et qu’ensuite, averti des intrigues dirigées contre le traité, il a voulu risquer sa signature, espérant que ce serait le moyen d’obtenir une conclusion ? Ce ne serait pas la première fois que le cabinet, changeant d’un jour à l’autre sa manière d’agir dans une même affaire, aurait perdu par ses incertitudes tous les avantages d’une position, pour n’en prendre que les inconvéniens.

Notre négociateur, M. Delarue, ne sera pas désavoué, puisque la convention est ratifiée : autrement, le cabinet se désavouerait lui-même, ce qui serait, comme l’a dit spirituellement M. de Beaumont, une complication nouvelle du système des désaveux. Le délai des ratifications expiré, il faudra que le gouvernement se prononce. Il ne peut pas reculer. Qu’il s’agisse du Maroc ou d’une puissance intéressée à protéger le Maroc, la question est la même ; elle est posée dans des termes qui font à la France un devoir de résister. Ce qui touche le Maroc touche l’Algérie, et ce qui touche l’Algérie touche notre honneur et notre puissance dans le monde. M. Duchâtel, interpellé par M. de Beaumont et M. Billault, a refusé toute explication sur les faits ; il en avait le droit. Sollicité de prendre un engagement formel, de déclarer que le gouvernement ne céderait pas, il a mieux aimé garder le silence. Soit. S’il y a des momens où une politique habile peut se permettre des vivacités de tribune pour atteindre plus sûrement son but, nous convenons que ces momens sont rares, et que la réserve, dans les situations difficiles, est le devoir ordinaire des gouvernemens. M. Duchâtel aura pensé sans doute que l’exemple de sir Robert Peel n’était pas bon à suivre pour le cabinet du 29 octobre ? Peut-être aussi n’a-t-il pas voulu se créer un rôle qui eût porté trop