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inquiétés de M. d’Israëli et de ses livres, et pourquoi une seule femme, qui selon toute apparence est lady Bulwer elle-même, s’est amusée à contrefaire, dans un roman caricature[1], la manière de l’écrivain, opposant à ses portraits de fantaisie, mais tracés avec verve, de grossières ébauches, et essayant, d’une main très faible, de le suspendre à son propre gibet ; on voit pourquoi ni Croker, ni Lockhart, ni Macaulay, ni lord Brougham, n’ont pris la chose au sérieux. M. d’Israëli frappait fort, et toujours à côté, comme ces flagellans du moyen-âge dont les lanières tombaient avec bruit tout près du coupable et fustigeaient le pilastre et la colonne. Il peut continuer, personne ne se fâchera.

Les sociétés ne sont mises en danger que par l’excès de leur principe ; quand elles exagèrent l’élément fondamental de leur puissance, elles commencent à chanceler, elles finissent par périr. M. d’Israëli semble voir ce péril dans le luxe et les vices de l’aristocratie, dans l’injuste oppression sous laquelle gémissent les catholiques romains, et dans la misère du peuple. Toutes ces observations ont leur côté séduisant et n’en sont pas moins superficielles et fausses. Quiconque a vu l’Angleterre de près sait que le haut commerce y est plus aristocratique que les familles de noblesse normande, et que la vraie et profonde révolte des masses souffrantes ne s’attaque pas aux suzerains du Domesday book, mais aux suzerains du comptoir et de la fabrique. L’oligarchie dépense, et l’éclat même de cette dépense flatte l’orgueil en alimentant la bourse des classes secondaires. Le comptoir et la fabrique exploitent les masses et sont haïs ; certes si les passions rugissantes au fond de l’Angleterre étaient tout à coup déchaînées, les manufactures brûleraient et non les châteaux. Ni le radicalisme, ni le torysme, ni le bruyant O’Connell, ni les catholiques d’Irlande, ni la corruption électorale, ne mettent la société anglaise en danger. Ce qui la menace, c’est le besoin de pain et de travail, c’est la presse des hommes, c’est la difficulté de soutenir un commerce immense, qui a créé d’immenses besoins, et dont les résultats se concentrent dans un petit nombre de mains.

Tout le monde sait que le principe social de l’Angleterre, son centre vital, c’est le commerce, soutenu de l’industrie. Ce cœur britannique, démesurément grossi, la menace. Aristocratie, catholicisme, église établie, toutes les questions s’amoindrissent en face de la question de vivre. Les débouchés ne tendent-ils pas à se restreindre ? Comment écouler les produits ? Où créer de nouveaux marchés ? Comment conserver les marchés anciens, trouver de l’emploi pour toutes ces activités,

  1. Anti-Conigsby, 3 vol.