méridionale. C’est surtout dans les peintures populaires essayées par l’écrivain que ce défaut est insupportable. Les Téniers ont besoin d’être touchés avec franchise et finesse, surtout avec vérité ; ici les contours s’amollissent, une teinte douceâtre et fantastique se répand sur les échoppes des bouchers et des marchands de salades ; il y a une certaine vendeuse de tripes humanitaire et plusieurs mauvais sujets de carrefour dont nos théâtres inférieurs désavoueraient la parodie. Cette affectation des peintures, ce ton faux et louche, cette philanthropie affadissante mêlée d’un argot vulgaire, prouvent de reste que M. d’Israëli n’a point observé le peuple, qu’il n’a pas vécu de sa vie, souffert de ses peines, et joui de ses joies. C’est le monde supérieur qu’il excelle à peindre ; il ne le flatte pas, mais il le « pince bien, » comme dirait Montaigne. Le turf, les paris, les châteaux où l’on s’ennuie de l’opulence, la fatigue des plaisirs qui n’éveillent plus une sensation, le dégoût, la blaserie de ces rejetons amollis des vieilles races, et surtout des élégans parvenus, des Fitz-Harris et des Fitz-Harbert, sont merveilleusement peints. Le panache flotte au vent, et aussi la parole, avec une molle vivacité ; le dégoût a de la grace ; l’intrigue et le mensonge se jouent de leurs masques ! A côté de ces excellens tableaux, quelques scènes nocturnes et fabuleuses, où la lune et les voûtes gothiques jouent leur rôle ordinaire, caractérisent le talent spécial de l’auteur, talent qui éclate surtout dans les scènes de passion, scènes d’un ton excellent, d’une énergie réelle et d’un développement très habile.
Quand même il y aurait plus de talent encore dans cette œuvre incomplète, remarquable pourtant, que feraient toutes ces choses à l’état réel du pays ? Comment excuser cette enquête opérée par l’imagination, cette analyse prétendue, concédée à une faculté humaine qui n’analyse jamais ? Et ne voit-on pas qu’une fiction qui peut tout prouver ne prouve rien ? Les plus déraisonnables excellent à ce jeu. Revenons au côté politique de l’ouvrage, bien plus attaquable encore.
Des vices de l’aristocratie et des vices populaires, qui sont ceux de l’humanité, je ne ferai point la stricte anatomie, et je ne m’occuperai pas de les observer ou de les punir en moraliste vengeur. Je me contenterai d’établir que la politique agit sur les faits et dispose des élémens qui existent, sans pleurer un passé irréparable et sans dépenser en anathèmes un temps précieux. Cette politique, généreuse, ou lâche, ou stérile, améliorant ou dégradant la situation dont elle s’empare, bonne ou mauvaise, est tenue d’être habile ; roman, hypothèse, rêve, vague espoir, ne lui sont jamais permis. Ouvrière de l’avenir, elle agit dans le présent avec les élémens du passé.