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LE NAUFRAGE DE SEPULVEDA.

Des roses et des lis le plus sublime éclat
Sans la Fable en nos vers n’aura rien que de plat.
Qu’on y peigne en savant une plante nourrie
Des impures vapeurs d’une terre pourrie,
Le portrait plaira-t-il, s’il n’a pour agrément
Les larmes d’une amante ou le sang d’un amant ?
Qu’aura de beau la guerre, à moins qu’on ne crayonne
Ici le char de Mars, là celui de Bellone ;
Que la victoire vole et que les grands exploits
Soient portés en tous lieux par la nymphe aux cent voix ?
Qu’ont la terre et la mer, si l’on n’ose décrire,
Ce qu’il faut de Tritons à pousser un navire ?
Cet empire qu’Éole a sur les tourbillons,
Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons,
Tous ces vieux ornemens traitez-les d’antiquailles ;
Moi, si je peins jamais Saint-Germain et Versailles,
Les nymphes malgré vous, danseront tout autour ;
Cent demi-dieux follets leur parleront d’amour ;
Du Satyre caché les brusques échappées
Dans les bras des Sylvains feront fuir les Napées ;
Et si je fais ballet pour un de ces beaux lieux,
J’y ferai, malgré vous, trépigner tous les dieux.

On voit que Corneille, comme J.-B. Rousseau et l’auteur de l’Art poétique, aurait, sans difficulté, amnistié Camoens et Corte Real.

Un mot, en finissant, sur la traduction. J’ai déjà félicité M. Ortaire Fournier sur son excellent travail. Sa version me paraît avoir atteint à un bien petit nombre d’endroits près, le but qu’on se propose dans tous les ouvrages de ce genre : elle est française et elle est fidèle. Je ne ferai à l’auteur qu’un reproche, c’est de n’avoir pas éclairci par la moindre note les nombreuses difficultés historiques, géographiques et autres que le texte présente. M. Ortaire Fournier me paraît aussi avoir poussé trop loin les scrupules d’un traducteur fidèle, en reproduisant, sans amendemens, les argumens de l’édition portugaise de 1783, qui sont souvent fautifs, et ne s’appliquent pas toujours exactement au contenu des chants qu’ils précèdent. Dans une seconde édition, que cette intéressante publication mérite à tant d’égards, l’auteur pourra fort aisément, s’il le trouve bon, faire droit à ces légers desiderata de la critique.


Charles Magnin.