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admettant par conséquent que le vieux tableau, quel que soit son âge, ait dit la vérité, faut-il en conclure que les clochers bâtis par Charlemagne soient identiquement les mêmes que les clochers actuels ? C’est là qu’est tout le problème.

Levasseur ne l’aperçoit pas : il se borne à confesser qu’il a fait de vaines tentatives pour percer la nuit épaisse qui enveloppe ces questions. Il nous met dans la confidence de ses efforts infructueux, et se plaint amèrement des religieux et gens de plume des anciens temps, qui, en prenant quelques notes qui leur auraient coûté si peu, lui auraient épargné tant de doutes et de recherches inutiles.

Il reconnaît néanmoins, dans un autre passage, que, selon l’avis des personnes savantes en ces matières, la plus grande partie de la cathédrale devait avoir été renouvelée et rebâtie après l’an 1000 de Jésus-Christ, et que par conséquent l’ouvrage de ses illustres fondateurs ne subsiste plus que par fragmens. Cet aveu, lui coûte, mais il ne peut disconvenir que pendant le siècle qui précéda l’an 1000, une fausse terreur, semée par toute la chrétienté, avait fait croire à la venue de l’antéchrist et à la fin du monde, et, que les populations découragées avaient laissé se délabrer et tomber en ruines la plupart des édifices religieux. Il reconnaît que l’église de Noyon, comme toutes les autres, fut tellement négligée et abandonnée, que sa chute était imminente. Mais lorsque l’an1000 eut sonné et que la prédiction fut trouvée fausse, chacun reprit courage et se mit en devoir de réparer le temps perdu. « Voilà pourquoi, dit-il, on se porta avec une allégresse non pareille à bastir, restaurer ou amplifier les églises, qui devaient encore durer long-temps jusques à la consommation du monde, laquelle fut jugée n’être si proche. Ce fut lors que nostre chœur fut rafraischy, nostre nef parachevée, nos clochers adjoustez pour accomplissement de l’œuvre. Au moins les experts jugent que ces ouvrages et manufactures sont de ce temps-là. »

Tel est le dernier mot de notre auteur : il ne renonce pas, comme on voit, au chœur bâti par saint Médard, il admet seulement que ce chœur a été rafraîchi immédiatement après l’an 1000, et même, pour plus de précision, après l’an 1003[1]. Quant à la nef et aux clochers, en disant que l’une fut parachevée et que les autres furent ajoutés, il les dépouille, il est vrai, de l’honneur d’avoir été bâtis par Charlemagne, mais il ne va pas au-delà de cette concession. Dans tout le

  1. « On attendit jusqu’à l’an 1003, d’autant qu’il est escrit que l’antechrist régnera deux ans et demi, « tempus et tempora et dimidium temporis. Daniel, 7. ». (Annales de Noyon, p. 131.)